
Face à un système éducatif largement dominé par le secteur privé et marqué par de profondes inégalités, plusieurs syndicats haïtiens du secteur de l’éducation ont lancé, vendredi 5 Septembre 2025 une campagne nationale de plaidoyer. Lors d’une conférence de presse, l’Union Nationale Normale des Enseignants et Enseignantes d’Haïti (UNNOEH) et ses partenaires ont exhorté l’État à prendre des mesures urgentes pour renforcer l’éducation publique, améliorer les conditions de travail des enseignants et garantir à tous les enfants haïtiens un accès équitable à l’école.
Le professeur Kensone Délice, coordonnateur général de l’UNNOEH, a dressé un constat préoccupant : près de 80 % des établissements scolaires en Haïti appartiennent au secteur privé, contre seulement 20 % relevant de l’État. « Cette situation crée un déséquilibre flagrant, où le droit à l’éducation dépend largement des moyens financiers des familles », a-t-il déclaré.
Pour lui, cette disparité prive des milliers d’enfants issus de milieux défavorisés de leur droit fondamental à l’instruction. Il appelle le gouvernement à investir massivement dans la construction d’infrastructures scolaires publiques, afin de permettre à chaque enfant d’accéder à une éducation de qualité, indépendamment de sa condition sociale.
Hubermane Clermont, coordonnateur général de la Fédération Nationale des Travailleurs en Éducation et en Culture (FENATEC), a dénoncé une logique marchande qui mine le système éducatif haïtien. « L’école ne devrait pas être une entreprise visant le profit. Elle est un service public fondamental, qui doit être accessible à tous », a-t-il martelé.
Il plaide pour que 20 % du budget national soit consacré à l’éducation, un investissement qui permettrait, selon lui, de réduire la dépendance du pays au secteur privé et de bâtir un système plus juste et équitable.
Clermont a également insisté sur la nécessité de créer une grille salariale claire et équitable pour les enseignants, basée sur leur niveau académique, leur expérience et leurs responsabilités pédagogiques. « Aujourd’hui, beaucoup d’enseignants travaillent dans la précarité, sans sécurité de l’emploi ni perspective d’avancement. Cela fragilise tout le système éducatif », a-t-il souligné.
La conférence de presse a également mis en lumière une réalité trop souvent passée sous silence : les inégalités de genre dans l’éducation. Cherline Cherfils, responsable de l’équité de genre au sein de l’UNNOEH, a relevé que 51 % des enfants en âge d’être scolarisés sont des filles, mais elles restent largement minoritaires dans les classes de terminale.
« Beaucoup abandonnent leurs études en raison de stigmatisations, parfois même encouragées par des enseignants, ou par manque de soutien familial », a-t-elle regretté. Les filles issues des milieux les plus pauvres sont particulièrement touchées. Nombre d’entre elles quittent l’école pour travailler dans des usines ou comme domestiques, au lieu de poursuivre leurs études.
Mme Cherfils a également dénoncé les discriminations subies par les enseignantes. « Sur chaque 100 000 enseignants, seulement 36 % sont des femmes. Certaines perdent leur poste après un congé de maternité et beaucoup n’ont pas accès à une assurance santé qui couvrirait leurs besoins, notamment en période de grossesse. C’est une injustice criante », a-t-elle déclaré. Pour elle, améliorer la condition des enseignantes est essentiel pour offrir aux filles de meilleures chances de réussite scolaire.
Cette campagne de l’UNNOEH et de ses partenaires syndicaux vise à mobiliser la société civile et interpeller les décideurs politiques autour de quatre revendications majeures : une augmentation significative des salaires des enseignants pour valoriser leur profession et répondre aux réalités économiques du pays ; la mise en place d’une assurance santé universelle pour tous les agents éducatifs afin de garantir leur sécurité et leur bien-être ; l’adoption de mesures concrètes pour réduire les inégalités de genre dans le système éducatif et offrir aux filles les mêmes opportunités que leurs camarades masculins ; et enfin, un financement public renforcé pour bâtir une école inclusive, équitable et accessible à tous les enfants d’Haïti.
« Nous voulons un système éducatif qui respecte les enseignants, protège les filles et offre à chaque enfant la possibilité de réussir », a résumé le professeur Délice.
Cette initiative, qui prévoit une série de rencontres dans plusieurs départements du pays, marque une nouvelle étape dans le combat des syndicats haïtiens pour une éducation publique et équitable.
Arnold Junior Pierre
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