
Par Maguet Delva
Dans cette pente terrible où je vois ressurgir un macoutisme vengeur, clé en main, prêt à bastonner des gens pour leurs positions politiques ou idéologiques, je ne peux m’empêcher de frissonner. Comme un mauvais film en noir et blanc qui repasse sur nos écrans, voilà que renaissent les réflexes brutaux des tontons macoutes des Duvalier : frapper, intimider, faire taire. Moi, dès l’âge de quinze ans, je m’étais déjà dressé contre ces hommes de nuit qui pouvaient, pour un oui ou pour un non, tabasser un compatriote. Je les ai vus, je les ai entendus, et j’avais juré de ne jamais fermer les yeux sur une telle ignominie.
Alors, quand j’ai vu, de mes propres yeux, un journaliste déclarer, sans ciller, qu’il fallait “chercher Maître André Michel pour le frapper”, mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai su, à cet instant précis, que la société haïtienne que nous rêvions de bâtir au lendemain du 7 février 1986 s’était effondrée, pulvérisée par le retour des vieux démons. J’ai comptabilisé une vingtaine de vidéos où des compatriotes, sans la moindre analyse, appelaient à s’en prendre physiquement à Maître André Michel. Dans l’une d’elles, une compatriote lance froidement : “Il faut le trouver pour le châtier.” Qui dit mieux ?
En vérité, qu’est-ce qu’on lui reproche réellement ? Est-ce simplement d’avoir été opposant à Jovenel Moïse ? Ou bien ses propos tenus au moment où il s’y opposait ? Si c’est cela, alors celles et ceux qui, aujourd’hui, sont prêts à le châtier dans les rues de Paris, ou qui vont jusqu’à vouloir incendier la chaîne Hlive pour lui avoir donné la parole, se trompent de combat. Si certains estiment que ses propos violent les lois haïtiennes, il existe des voies légales : ils peuvent porter plainte contre lui et demander qu’il réponde devant un tribunal. Cela est recevable. Mais appeler sans cesse à le frapper, à le traquer comme l’a répété un journaliste, c’est franchir une ligne rouge.
Beaucoup ignorent que l’homme politique en question est détenteur d’un visa français et que, de ce fait, la France lui doit protection. Ils ignorent aussi — ou feignent d’ignorer — que ces appels publics à la violence tombent sous le coup du Code pénal français. Dans l’Hexagone, la loi ne distingue pas entre celui qui frappe et celui qui appelle à frapper : les deux sont coupables. Mais voilà, chez nous, dès que la politique s’invite dans les conversations, la raison prend la fuite. Les compatriotes quittent le terrain des idées pour tomber dans l’irrationnel pur, celui où la haine se déguste comme un plat chaud, sans se soucier des conséquences.
Tant que je serai vivant, je me battrai jusqu’au bout contre cette intolérance primaire. Mes compatriotes ont le droit de dire ce qu’ils veulent la liberté d’expression, ce n’est pas seulement quand cela vous arrange, c’est aussi quand cela vous dérange. Et ma position est claire : ce serait une honte que des Haïtiens frappent Maître André Michel dans les rues de Paris. Non seulement ce serait une violation des lois françaises, mais ce serait aussi une tache sur la réputation de toute la communauté haïtienne auprès des autorités françaises. Cela, je ne peux l’admettre.
J’appelle donc mes compatriotes à la retenue, à la tolérance, à l’amour entre frères et sœurs d’une même nation. Notre pays traverse des heures douloureuses, tragiques même. Au lieu de nous diviser et de nous battre entre nous, tendons-nous la main. En tant que fils d’une seule terre, nous devons nous souvenir que la fraternité est plus forte que la vengeance. Oui, Maître André Michel peut commettre des erreurs, comme tout homme politique. Mais appeler à le frapper, ou pire, à le tuer si l’on en croit certains est absolument inadmissible.
Vive la concorde citoyenne ! Vive une communauté haïtienne de France rassemblée dans le respect et la fraternité ! Vive Haïti, notre patrie, et vive la France, terre d’accueil et de liberté.
Par Maguet Delva
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