PubGazetteHaiti202005

Le Président déchu entre dans la République des murs

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Par Maguet Delva

La bonne santé de la justice française s’est incarnée, de manière presque chirurgicale, dans la condamnation à cinq ans de prison de Nicolas Sarkozy. L’ancien ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, celui-là même qui jadis menait tambour battant la croisade contre les juges, se retrouve aujourd’hui rattrapé par le système qu’il avait tenté de dompter. Il faut dire que, pour la magistrature française, cet emprisonnement à la saveur d’une revanche longtemps mijotée. Sarkozy, en son temps, les avait vilipendés avec la fureur d’un tribun en campagne, multipliant les coups de menton et les communiqués rageurs qui faisaient les délices des journaux télévisés. Il les accusait de laxisme, les clouait au pilori et se posait en justicier suprême devant une opinion publique hypnotisée.

Le ministre de l’Intérieur d’alors, tel un général en croisade contre le désordre, arpentait les banlieues entouré de caméras. Poings levés, regard de fer, il lançait des menaces aux jeunes interpellés : il allait, disait-il, « nettoyer au Kärcher ». Cette phrase, devenue tristement célèbre, résonne aujourd’hui comme une ironie du sort : le nettoyeur d’hier se voit lui-même lavé de son vernis d’impunité par la lessive judiciaire. Ah ! C’était le temps où l’occupant de la place Beauvau régnait en maître sur les ondes et manipulait la scène médiatique comme un chef d’orchestre ivre de pouvoir. Mais les horloges de la justice, lentes mais implacables, finissent toujours par sonner. Et voilà que celui qui accusait les juges de mollesse goûte aujourd’hui à la rigueur de leurs sentences.

Ah, Nicolas Sarkozy, le père fouettard de la droite française, celui qui maniait la matraque verbale avec la même ardeur qu’un prêcheur de place publique. Il se voulait le gardien de la République, mais son regard glissait sans cesse vers les terres brumeuses du Front National, comme un navigateur tenté par des eaux interdites. Avant de devenir le tonitruant maître de la place Beauvau, il fut le jeune ministre du Budget d’un autre disparu de la scène politique : Édouard Balladur, cet homme de marbre qui voulut tailler la droite à son image… avant qu’elle n’explose en mille éclats. L’année 1995 marqua le tournant : Jacques Chirac triompha, et Sarkozy, tel un soldat battu, se réfugia dans le long manteau du silence. Une traversée du désert, sans oasis ni mirage, où l’ambition, pourtant, continuait de brûler sous la cendre.

L’histoire de Nicolas Sarkozy est une histoire passionnément française, à tous points de vue — à la fois tragédie classique et farce républicaine. On y retrouve Racine et Audiard, De Gaulle et Machiavel, le panache et la petitesse. C’est le récit d’un homme pressé, avide de lumière, persuadé que la République n’était qu’une scène faite pour lui. Son arrogance n’était pas une rumeur, mais une politique d’État. Elle l’avait conduit, un jour, à qualifier son propre Premier ministre, François Fillon, de « serviteur ». Ce mot, jeté avec le dédain d’un monarque lassé de ses courtisans, résonne encore comme une gifle donnée à la collégialité républicaine. Chez Sarkozy, le partage des tâches n’était pas un exercice démocratique, mais une contrainte administrative.

Il ne concevait le pouvoir qu’à travers un prisme étroit : celui de sa propre volonté. Tout devait remonter vers lui, comme les affluents d’un fleuve qui n’admet aucun autre cours que le sien. La présidence, sous son règne, n’était plus une fonction, mais un trône électrique, vibrant de son agitation perpétuelle. Chez lui, l’arrogance n’était pas un défaut : c’était un carburant. Elle servait de soupape, d’arme, de méthode. Il gouvernait comme on mène un combat de boxe — à coups de mots, de postures, d’humiliations soigneusement calculées. Les plus faibles, les plus prudents, les plus discrets servaient souvent de punching-ball à son besoin d’autorité. Nicolas Sarkozy, c’était le pouvoir concentré dans un corps impatient, une centralisation incarnée. Tout passait par lui : les décisions, les colères, les stratégies, les revanches. Il était l’axe et le centre, le chef et le bras, le mot et le geste. Mais ce soleil politique brûlait tout ce qui s’approchait trop près de lui. Ses ministres, éblouis ou effrayés, finissaient par se consumer dans l’ombre qu’il projetait.

Combien de fois l’a-t-on vu, Nicolas Sarkozy, dans une communication bruyante, tapageuse, frôlant parfois la propagande ! À la place Beauvau, il n’y avait guère de place pour le dialogue : la parole y servait d’arme, et les mots devenaient balles. La « communication » s’y confondait avec une mise en scène permanente — un théâtre d’ombres où le mensonge se déguisait en vérité et la vérité s’effaçait sous le vacarme. Ainsi s’est présenté Sarkozy : un tribun qui confondait la République avec un ring, et la presse avec un parterre d’applaudissements. La plupart des médias français, fascinés par son énergie volcanique, se couchaient devant lui, hypnotisés par sa frénésie politique. Seuls quelques irréductibles, ces journalistes « mal élevés », refusaient de se prêter à la mascarade — de rares herbes folles dans un jardin médiatique soigneusement entretenu.

Quant à la diplomatie du temps de Sarkozy, elle donnait le tournis. Ses pas, ses faits et gestes semblaient guidés non par la boussole de la République, mais par une quête personnelle où les affaires d’État se mêlaient dangereusement aux affaires d’argent. Il courait après les contrats comme un marchand pressé, troquant parfois l’honneur diplomatique contre quelques rentrées de devises, quitte à ternir la réputation de la France. Sous ses mandats, les ors de l’Élysée se transformaient souvent en comptoirs d’intérêts. La politique étrangère, au lieu d’incarner les valeurs universelles, s’enlisait dans les calculs et les connivences. Et ce sont ces liaisons troubles, ces amitiés embarrassantes, ces échanges d’argent et d’influence, qui ont fini par le rattraper. En ce mardi 21 octobre, l’ancien président de la République, celui qui croyait dompter la justice comme on dompte une meute, a franchi les portes de la prison de la Santé. Une image saisissante : l’ex-chef de l’État entrant dans le lieu même où tant d’autres qu’il avait fait condamner ont purgé leurs peines.

Maguet Delva, Paris

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