
Fritz Alphonse Jean a bouclé, le 7 juin 2025, trois des cinq mois de son mandat à la tête du Conseil Présidentiel de Transition (CPT). Connu comme un brillant économiste, successeur d’un Leslie Voltaire dynamique, l’ex gouverneur de la banque centrale peine toujours à imprimer sa marque à la fonction suprême de l’État. Aucune action structurante, aucune initiative notable pour impulser un changement dans un contexte national marqué par l’insécurité et l’instabilité.
Mis à part un « budget de guerre » aux résultats encore incertains, l’actuel coordonnateur du CPT donne l’impression de diriger la présidence transitoire la plus effacée et improductive depuis cette transition. À moins de deux mois de la fin de son mandat, il risque de quitter le CPT sans avoir laissé la moindre empreinte s'il ne change pas de cap, lui qui fut jadis un critique féroce de nombreux gouvernements et nourrissait des ambitions présidentielles.
En matière de communication, le silence du coordonnateur est assourdissant. Il ne cultive aucun lien avec la presse qu'il méprise d'ailleurs dans ses pratiques au CPT et semble indifférent aux cris de détresse d'une population meurtrie par les gangs. Le 18 mai dernier, au lieu de tendre l’oreille aux doléances des enseignants et des citoyens venus protester au Cap-Haïtien, il s’est lancé dans une attaque verbale à leur encontre, ratant ainsi une occasion précieuse de se montrer à la hauteur de sa fonction.
Pire encore, depuis son arrivée à la tête du CPT, Fritz Jean ne parvient même pas à faire fonctionner convenablement le Conseil. En trois mois, seulement deux conseils des ministres ont été organisés. D’après un membre du CPT joint par notre rédaction, l’homme de Sainte-Suzanne boycotterait volontairement les conseils afin de préserver ses intérêts économiques, notamment à la douane, dont la tête du directeur, son protégé Julcène Edouard est réclamée par au moins quatre autres conseillers.
Dans les colonnes du Nouvelliste, le coordonnateur du CPT a même assumé avoir lui-même bloqué la tenue de conseil des ministres, car selon lui, cet espace n'est pas fait seulement pour nommer « des directeurs généraux incompétents » mais pour prendre des décisions importantes. Réagissant aux propos de Fritz Jean, un autre conseiller affirme que ce dernier ne dit pas la vérité sur sa réelle motivation, car lui, à la tête du conseil fait preuve d'une incompétence criante. Selon lui, le président n'organise pas de conseil des ministres pour éviter que soient mises en question certaines des directions générales clés qu'il a sous son contrôle.
Le président du conseil est allé jusqu'à dénoncer ses collégues et le ministre des affaires étrangères Harvel Jean Baptiste de « nommer des centaines de personnes sans qualification dans la diplomatie ». Comment être à la tête de la transition et se plaint comme un simple citoyen? En tant que coordonnateur du CPT, Fritz Jean devrait plutôt faire preuve de leadership et s’arranger pour avoir la possibilité de diriger et prendre des décisions qui s’imposent. Sinon il n’a qu’à rendre son tablier. Il n’est pas payé pour constater et dénoncer comme s’il était un opposant de son propre pouvoir.
Selon le même conseiller parlant sous couvert de l'anonymat, Fritz Jean qui se pose en modèle au CPT exercerait un contrôle étendu sur les finances publiques à travers un ami présenté comme son bras droit, lui-même, en affaires avec l’actuel directeur de la douane. I a aussi affirmé que le coordonnateur du CPT contrôlerait actuellement des institutions stratégiques comme la Banque de la République d’Haïti (BRH), la Banque Nationale de Crédit (BNC), le Programme National de Cantines Scolaires (PNCS), l’Autorité Portuaire Nationale (APN), la DGI ainsi que le ministère de l’Éducation nationale. Au ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), ce sont les compagnies sous la coupole de son ami qui rafleraient tous les contrats juteux. Il commanderait aussi pratiquement tout pour la douane: matériels informatiques, papiers, encres, meubles, etc..
Des accusations de corruption viennent également ternir son image qu’il a su garder intacte jusqu’ici dans l’opinion publique. Des sources dont son ancien compagnon de lutte Hugues Celestin l'accusent d'avoir détourné les 400 millions de gourdes débloqués pour les festivités du 18 mai via des compagnies fictives proches de son entourage. Lors de l’émission « Le Rendez-vous avec Volcy Assad », l’ancien député Célestin, un ami de longue date de Fritz Jean, n’a pas mâché ses mots, le qualifiant de « corrompu » et exprimant sa profonde déception face à celui qui, dit-il, renie aujourd’hui les principes qu’il défendait autrefois avec vigueur.
Au Conseil, au lieu de faire avancer les choses Fritz Jean prefère se livrer dans des conflits stériles avec ses pairs, regrette un conseiller contacté par Gazette Haïti. « Quand cela lui permet de placer ses pions dans toutes les espaces de l'administration publique, il collabore avec les 3 conseillers indexés dans le scandale de la BNC pour bénéficier de leur vote mais quand ils ne servent pas ses interêts, ils sont considérés comme des animaux malades de la peste », affirme-t-il.
Au-delà du cas de Fritz Jean qui aura déçu la population ou du moins ceux qui croyaient en lui, c’est l’ensemble du processus de transition qui semble en péril. Dans deux mois, le représentant du secteur privé des affaires Laurent Saint Cyr prendra les rênes de la dernière phase de la transition. Pourra-il faire mieux quand l'immobilisme a caractérisé la gestion de son prédécéseur ? A quelques mois d’échéances cruciales, rien ne laisse présager une élection présidentielle dans les temps en dépit des promesses de l'équipe au pouvoir. Plus d'un an après, il est clair que le CPT n'a pas tenu sa promesse et n'a non plus rempli sa mission qui était celle de rétablir la sécurité des vies et des biens, même s'il faut le reconnaitre, qu'aucune connivence avec les gangs n'a été jusqu'à date documentée. En seulement une année, le bilan est désastreux : plus de 5000 morts violentes, plus d'un million de déplacés internes, des centaines de cas de viols sans oublier les incendies criminels.
Tout compte fait, une nouvelle transition semble se profiler à l’horizon. La question demeure : à qui confiera-t-on le prochain chapitre de cette interminable transition politique ? L'actuel Conseil Présidentiel ? Une nouvelle équipe issue de nouvelles négociations sous l’obédience de la communauté internationale ? Un CPT replatré ? La Cour de Cassation ? Didier Fils-Aimé reste seul pour organiser les élections ou avec un CPT revu ? Ce qui est certain, c’est à quelques mois de la fin du mandat de cette transition, des hommes et femmes politiques de notre triste Haïti sont déjà à l’affût. Mais aucune certitude qu’ils pourront et voudront faire mieux.
La Rédaction
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