
Le gouvernement haïtien s’est engagé cette semaine dans une voie hasardeuse en décidant d'impliquer officiellement les agents de la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP) dans la lutte contre l'insécurité. Une décision qui, sous des airs de volonté politique, constitue en réalité, une aventure perilleuse avec des risques majeurs pour l'État de droit. Car, en matière de sécurité publique, on ne résout pas un problème par un autre problème.
Ce que dit l’arrêté:
Le Conseil Présidentiel a publié le 3 avril 2025 un arrêté concernant les dispositions prises pour la BSAP. L’article 1er stipule que « le Gouvernement est instruit d’adopter toutes les mesures d’accompagnement nécessaires pour permettre aux forces de l’ordre de répondre efficacement à la violence des bandes armées et de rétablir la sécurité et la paix sur tout le territoire ».
Dans l’article 2, il est précisé que « l’État prendra des dispositions pour requérir l’aide des membres de la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP), sous réserve d’évaluations préalables des comportements de ses agents, pour qu’ils viennent en appui aux forces de l’ordre dans la lutte contre l’insécurité orchestrée par les bandes armées »
« Les modalités du support à fournir aux membres de la BSAP et les règles encadrant leur collaboration avec les forces de l’ordre seront fixées dans un protocole d’accord établi entre les institutions concernées », peut-on lire dans l’article 3.
La BSAP n'est pas un corps de police ni une unité militaire. Il s'agit d'une force spécialisée dans la protection des aires écologiques, la prévention des incendies, la lutte contre la déforestation et la surveillance des sites naturels. Enrôler ces agents dans la traque des gangs armés, c'est exiger d'eux un travail pour lequel ils n'ont ni formation ni expérience. Même la Police nationale, pourtant mieux équipée et entrainée, accumule les échecs dans cette guerre contre le terrorisme urbain. Que peut-on alors attendre de la BSAP sans une formation adaptée ?
Entre 2017 et 2024, les effectifs de la BSAP ont explosé, passant d'une centaine d'agents à près de 3 000, selon les chiffres de l'Agence Nationale des Aires Protégées (ANAP) à Ayibopost. Or, nul ne sait combien de ces agents sont véritablement qualifiés. Fin 2024, Frantz Daniel Pierre, responsable de la direction d’Inspection et de Surveillance Environnementale, signalait déjà que « beaucoup de recrutements impliquent des individus cherchant à légaliser des armes illégales. » Hier encore, plusieurs faux badges d'agents de la BSAP ont été saisis après l'annonce de leur enrôlement. Sans mécanismes rigoureux, l'on risque d'intégrer dans les forces de l'ordre des civils simplement désirant légaliser leur arsenal.
Rien ne garantit que cette décision ne bénéficiera pas à la coalition criminelle « Viv Ansanm ». En réalité, les gangs pourraient y voir une opportunité idéale pour infiltrer les institutions de sécurité. Une fois en place, leurs membres auront accès aux informations stratégiques, neutralisant toute opération avant même qu'elle ne commence.
En intégrant la BSAP dans la lutte contre l'insécurité, le gouvernement ouvre la porte à la formation de petites milices locales, où des civils armés pourront légitimer leur pouvoir sur leur quartier. Que se passera-t-il lorsqu'un groupe d'agents BSAP se retournera contre la population ?
Une entité hors de contrôle
Depuis des années, la BSAP opère de manière de plus en plus autonome. Sous la direction de Jeantel Joseph, elle s'est même mutée en une force quasi rebelle, s'alliant à l'ancien chef Guy Philippe pour destituer le Premier ministre Ariel Henry. L'ONU a plusieurs fois alerté sur ses pratiques, signalant qu'elle était devenue une entité armée incontrôlable, comptant jusqu'à 6 000 membres à travers le pays. Pire, selon un rapport de février 2024, 95 % de ces membres ne sont pas rémunérés par une institution officielle.
Aujourd’hui, on intègre la BSAP dans la lutte contre l’insécurité. Demain, d’autres groupes pourront réclamer leur propre rôle dans la sécurité publique. Cela pourrait légitimer des groupes armés opportunistes sous couvert de « sécurité alternative ». Sans cadre strict et défini, ce précédent risque de créer une fragmentation des forces de sécurité et d'encourager l'émergence d'acteurs armés indépendants aux motivations variées, voire contradictoires avec celles de l'État.
Le manque d’équipement et de formation adaptée
Même si l’on intègre la BSAP à des missions sécuritaires, avec quels moyens ? La PNH elle-même souffre d’un manque d’armes, de véhicules et de munitions. La BSAP sera-t-elle mieux équipée ? Avec quel budget ? Faute d’équipement adéquat, ces agents risquent d’être inefficaces face à des gangs lourdement armés, ou pire, de recourir à des pratiques illégales pour compenser leur manque de moyens.
L’intégration précipitée de la BSAP dans les dispositifs de sécurité publique soulève aussi une interrogation stratégique plus large : en créant sans filtre des passerelles entre des groupes armés et les institutions de l’État, le gouvernement ne risque-t-il pas de renforcer, voire légitimer, les ambitions de figures controversées comme Guy Philippe, qui prône ouvertement la prise du pouvoir par les armes ? Le Conseil Présidentiel de Transition ne se place-t-il pas en situation d’auto-sabotage, en fournissant involontairement une structure légale à des acteurs qui pourraient demain retourner ces armes contre l'État lui-même ? Ce geste, en apparence tactique, pourrait se révéler être un cadeau offert sur un plateau d’argent à ceux qui cherchent à s’emparer du pouvoir par des voies insurrectionnelles — des dynamiques incarnées, entre autres, par l’ex commissaire de police et d’autres acteurs aux trajectoires ambigües.
Par: Daniel Zéphyr
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