PubGazetteHaiti202005

À Tabarre, les marchands crient leur détresse : « On ne vend plus rien, la misère nous étouffe »

@Arnold Junior Pierre

Dans un micro-trottoir réalisé le lundi 2 juin 2025 dans la commune de Tabarre, plusieurs marchands ont témoigné de la chute brutale de leurs activités commerciales. Face à l’insécurité grandissante et à la crise économique, les clients désertent les étals, laissant les vendeurs dans une précarité croissante.

Sur les trottoirs poussiéreux du marché de Tabarre, les étals regorgent de produits variés : légumes frais, vêtements, épices, savons, viande et autres… Pourtant, l’animation habituelle a laissé place à un silence pesant. Depuis le Carrefour Gérald Bataille, en passant par Carrefour Rita jusqu’au marché de Tabarre, l’axe routier se transforme en un véritable calvaire. La plupart des marchands restent assis, le regard vide, la voix éteinte. Ce n’est pas un manque de marchandises, mais bien l’absence de clients qui paralyse le marché.

Interrogée, une marchande de souliers, mère de famille d’une quarantaine d’années, installée sur la place depuis plus de quatre ans, confie : « Toute la journée, je reste ici sans vendre même un oignon. Avant, même si ce n’était pas grand-chose, on arrivait à vendre. Maintenant, c’est le néant. »

À l’origine de cette désertion, la terreur. L’insécurité rampante qui sévit dans plusieurs régions du pays touche également la commune de Tabarre. Les gangs, notamment celui de Vitelhomme Innocent, prennent progressivement le contrôle de plusieurs quartiers, limitant considérablement la liberté de mouvement des habitants. Les tirs sporadiques, les rumeurs d’enlèvements et la présence constante de groupes armés transforment chaque déplacement vers le marché en un véritable acte de bravoure.

« Les gens ont peur. Ils ne veulent plus venir acheter. Même moi, chaque matin, je me demande si je vais rentrer vivante chez moi », témoigne une jeune vendeuse de vivres alimentaires. Elle regarde nerveusement autour d’elle, comme si elle s’attendait à entendre un coup de feu à tout moment.

Mais la peur n’est pas la seule responsable de la crise que traversent les marchands. L’effondrement économique du pays et la baisse du pouvoir d’achat des citoyens y contribuent également de manière significative. Selon la Banque de la République d’Haïti (BRH), la variation de l’indice des prix des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées, en avril 2025, atteint un taux pondéré de 48,50 %. Cette inflation galopante participe à l’asphyxie progressive du commerce local. Même ceux qui osent encore fréquenter les marchés n’ont pas toujours les moyens d’acheter.

« Nou tout ap viv soufrans. Moun pa gen lajan. Yo vin gade, yo pa achte. Yo salye w, yo pase », déplore un monsieur dans sa boutique de produits alimentaires à Tabarre, que nous avons interrogé.

Derrière ces témoignages poignants se cache une détresse généralisée. Les marchands figurent parmi les plus durement touchés par la crise. « Mwen te konn al achte Panama, mwen pa kapab ale ankò pou lajan. Mwen kite kay mwen, kounya se nan fèm kay mwen ye », confie une vendeuse de vêtements du nom de Magda. Elle ajoute, avec amertume : « Mwen vin pòv. Mwen pa jwenn bank prete m lajan ankò. » Selon elle, la précarité est devenue insoutenable.
À noter que, selon la Banque de la République d’Haïti (BRH), la variation de l’indice des prix dans la catégorie « Logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles » atteint une pondération de 14,14 %, un chiffre révélateur du poids des charges que doivent supporter les ménages. Face à ces conditions, beaucoup de petits commerçants ne savent plus à quel saint se vouer.

« On souffre en silence. On vend pour survivre, pas pour vivre », explique Magdala. « On a besoin d’un minimum de sécurité pour respirer. Est-ce qu’on va attendre que les bandits viennent tirer sur nous au marché pour que l’État réagisse ? »

Le tableau que dressent ces vendeurs n’est pas propre à la commune de Tabarre. Il reflète le quotidien de milliers de commerçants à travers Port-au-Prince, et bien au-delà, dans l’ensemble du pays. Dans ce climat d’instabilité chronique, les petites activités économiques s’éteignent les unes après les autres, entraînant avec elles des familles entières dans une pauvreté de plus en plus profonde.

Arnold Junior Pierre

Category

Politique

Culture

Economie

Sport