PubGazetteHaiti202005

Haïti confronté à une crise alimentaire sans précédent : plus de 5,7 millions de personnes en détresse, selon la CNSA

@Arnold Junior Pierre

La Coordination nationale de la Sécurité alimentaire (CNSA) a lancé un avertissement solennel ce vendredi lors de la présentation des résultats du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). Selon cette évaluation actualisée, près de 5,7 millions d’Haïtiens sont aujourd’hui confrontés à une crise alimentaire, dont environ deux millions en situation d’urgence. 

Cette rencontre, qui s’est tenue le vendredi 10 octobre 2025 dans un hôtel de Pétion-Ville, s’est déroulée en présence du conseiller-président Louis Gérald Gilles, du directeur de cabinet du Premier ministre Axène Joseph, du ministre de l’Agriculture Vernet Joseph, ainsi que de représentants d’organisations internationales, notamment la FAO et du Programme alimentaire mondial (PAM).

Le coordonnateur de la Coordination nationale de la Sécurité alimentaire (CNSA), Harmel Cazan, a replacé la crise actuelle dans son contexte global. Selon lui, l’insécurité alimentaire en Haïti ne peut être dissociée de la crise sécuritaire qui déchire le pays. « Parler de faim, c’est aussi parler de peur », a-t-il résumé. Ces deux phénomènes, intimement liés, s’alimentent mutuellement : la violence paralyse la production agricole, bloque les routes commerciales et pousse des milliers de familles à la dépendance humanitaire.


Selon M Harmel Cazan, aujourd’hui, deux questions hantent le quotidien des Haïtiens : « Puis-je rentrer chez moi sain et sauf ? » et « Que vais-je trouver à manger ? » Ces interrogations simples traduisent la double détresse d’un peuple prisonnier à la fois de la peur et de la faim. Pour mieux comprendre cette réalité, la CNSA a conduit en 2025 l’Enquête nationale de suivi de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (ENSAN), réalisée en partenariat avec la Banque mondiale à travers le Projet d’agriculture résiliente pour la sécurité alimentaire (PARSA). Cette étude a permis de dresser un portrait précis de la situation dans toutes les régions du pays, offrant une base essentielle pour orienter les réponses publiques et humanitaires.

En 2017, environ 18 % des ménages haïtiens vivaient dans une situation d’insécurité alimentaire. Huit ans plus tard, cette proportion a presque triplé, atteignant un niveau jugé alarmant par les experts. Cette détérioration constante résulte d’une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels : la dégradation de la sécurité intérieure, qui entrave la libre circulation des produits et désorganise les marchés ; les catastrophes naturelles récurrentes, amplifiées par le changement climatique et la déforestation ; et enfin, la crise économique persistante, marquée par une inflation à deux chiffres et un effondrement du pouvoir d’achat des ménages.


Le ministre de l’Agriculture, Vernet Joseph, a rappelé que cette crise alimentaire est étroitement liée à la situation sécuritaire du pays. Selon lui, « plusieurs zones de production, notamment dans la vallée de l’Artibonite, sont aujourd’hui inaccessibles à cause des affrontements entre groupes armés ». Des centaines d’hectares de terres fertiles demeurent ainsi inexploités, provoquant une chute significative de la production nationale et une hausse généralisée des prix alimentaires, qui pèse lourdement sur les familles les plus vulnérables.

Les résultats de la CNSA s’appuient sur la méthodologie IPC (Integrated Phase Classification), utilisée dans plus de cinquante pays pour évaluer la gravité de l’insécurité alimentaire. Cette approche permet de déterminer avec précision qui est touché, où, pourquoi et dans quelle mesure, fournissant ainsi des informations essentielles pour orienter les réponses humanitaires et les décisions politiques.


Les données ont été collectées à différents niveaux : auprès des ménages, des communautés rurales, mais également dans les zones urbaines et les camps de déplacés internes autour de la capitale. Elles ont ensuite été analysées par un groupe technique national regroupant institutions publiques, agences onusiennes et ONG. L’objectif principal de cette analyse était de mettre à jour les indicateurs de sécurité alimentaire, d’évaluer les dépenses et transferts monétaires des ménages, de comprendre les stratégies de survie des familles, de prévoir la performance de la campagne agricole du printemps 2025, et d’intégrer la dimension de genre pour mieux mesurer les inégalités entre femmes et hommes dans l’accès à la nourriture.

Prenant la parole au nom de la FAO, Patrick Nicolas a rappelé que les statistiques présentées « ne sont pas de simples chiffres ». « Derrière chaque donnée, il y a une famille, un visage, une histoire de lutte. Ces chiffres représentent des vies humaines plongées dans la précarité et l’incertitude. Notre devoir collectif est d’y répondre avec humanité, rigueur et engagement. »


L’année dernière, l’analyse IPC de septembre 2024 faisait déjà état d’une hausse importante du nombre de personnes en crise alimentaire, avec plus de 5,4 millions de personnes dans l’incapacité de satisfaire leurs besoins de base. Pire encore, certains sites de déplacés de la région métropolitaine avaient été classés en phase 5 catastrophe, le niveau le plus grave de l’échelle internationale.


Cette année, les perspectives demeurent sombres. L’analyse actuelle couvre la période de septembre 2025 à février 2026, et une projection jusqu’à juin 2026. Si aucune mesure structurelle n’est prise, le nombre de personnes en phase d’urgence pourrait encore augmenter, selon les prévisions des experts.


Le conseiller présidentiel Louis Gérald Gilles a salué le travail de la CNSA et des partenaires techniques, tout en insistant sur la responsabilité de l’État. « L’insécurité alimentaire est une question de sécurité nationale autant que de santé publique. Elle interpelle directement notre devoir de gouvernance et de solidarité. »


De son côté, le ministre Vernet Joseph a réaffirmé la volonté du gouvernement de faire de la sécurité alimentaire une priorité. Il a annoncé que plusieurs pistes sont à l’étude pour réhabiliter les zones agricoles isolées, renforcer les programmes de subvention aux petits producteurs, et stimuler la relance de la production vivrière locale. Toutefois, les acteurs présents s’accordent à dire qu’aucune solution durable ne sera possible sans une amélioration du climat sécuritaire. Tant que les routes agricoles resteront bloquées et les marchés sous la menace des gangs, les efforts de relance risquent d’être vains.


À l’approche de la Journée mondiale de l’alimentation, célébrée le 16 octobre, le représentant de la FAO a invité les partenaires internationaux à “marcher main dans la main pour une alimentation et un avenir meilleurs”. Le PAM, de son côté, a promis de maintenir son soutien au gouvernement haïtien pour répondre aux besoins les plus urgents.


Selon ses responsables, la priorité immédiate consiste à renforcer l’assistance alimentaire d’urgence, tout en soutenant des initiatives de résilience communautaire, comme les cantines scolaires, les transferts monétaires et les programmes de travail contre rémunération.


La faim en Haïti n’est pas seulement une donnée économique, mais un drame humain. Elle prive les enfants de leur avenir, fragilise les familles et affaiblit le tissu social. Face à cette réalité, la CNSA appelle à une mobilisation nationale autour d’un objectif commun : garantir à chaque Haïtien le droit fondamental à une alimentation suffisante et digne.


Car derrière chaque pourcentage, derrière chaque rapport technique, se cache une même vérité : aucun pays ne peut se construire durablement sur la faim de son peuple.

Arnold Junior Pierre

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