PubGazetteHaiti202005

CARDH met en garde contre un contrat controversé avec Blackwater : une menace pour la souveraineté nationale d’Haïti

@CARDH

Le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) a adressé une correspondance au Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, également président du Conseil supérieur de la Police nationale d’Haïti (CSPN), pour exprimer ses vives préoccupations concernant le contrat de dix ans signé avec Vectus Global, la nouvelle société d’Erik Prince, fondateur de la sulfureuse firme militaire privée Blackwater. L’accusé de réception de cette lettre est parvenu à la rédaction de Gazette Haïti News.

L’organisation de défense des droits humains tire la sonnette d’alarme après la publication, le 14 août, d’un article de l’agence Reuters révélant l’existence d’un tel accord. Celui-ci comprendrait deux volets majeurs : la lutte contre les gangs armés et la gestion fiscale de la frontière haïtiano-dominicaine. Pour le CARDH, une telle démarche soulève des enjeux fondamentaux liés au droit du peuple haïtien à l’autodétermination.

Jusqu’ici, aucune autorité officielle n’a confirmé ni démenti ces informations. Ce silence, jugé inquiétant, a poussé le CARDH à alerter le Premier ministre et le Conseil présidentiel de transition (CPT), mettant en garde contre les conséquences d’un partenariat de cette nature.

Selon l’organisation, confier la sécurité intérieure et la collecte fiscale à une société étrangère revient à céder des prérogatives régaliennes essentielles de l’État haïtien. Elle rappelle que la Constitution impose la consultation de la Cour supérieure des comptes pour tout contrat de cette nature et que, faute de Parlement, la voix du peuple est totalement absente du processus. En d’autres termes, poursuit le CARDH, il s’agirait d’une atteinte directe au droit à l’autodétermination, pierre angulaire de toute démocratie.

Derrière Vectus Global, c’est le lourd passé de Blackwater qui refait surface. Engagée en Irak après les attentats du 11 septembre, la firme avait marqué les esprits par ses méthodes brutales. En septembre 2007, ses agents avaient ouvert le feu à Bagdad, tuant 14 civils et en blessant 23 autres. Le scandale qui s’en suivit avait conduit Washington à mettre fin à ses contrats et à expulser plus de 250 employés. Malgré plusieurs changements de nom — Xe en 2009, puis Academi en 2011 —, la réputation de l’entreprise reste ternie. Dans ce contexte, le CARDH redoute que les mêmes pratiques d’impunité et de violations des droits humains ne se reproduisent en Haïti.

Il est vrai qu’Haïti traverse une crise sécuritaire aiguë. Depuis l’attaque de Martissant en juin 2021, le pays s’est enfoncé dans une spirale de violence. En quatre ans, rappelle le CARDH, plus de 28 zones sont passées sous le contrôle des gangs, plus d’un million de personnes ont été déplacées, et plus de 4 700 assassinats ont été recensés, dont 136 policiers. La Police nationale, sous-équipée et affaiblie par des pertes humaines, peine à reprendre le contrôle du territoire.

Dans ce contexte, l’appel à une société militaire privée peut sembler une réponse rapide. Mais le CARDH insiste : sans stratégie nationale claire et sans renforcement des institutions locales, une telle initiative risque d’installer une dépendance dangereuse.

Au-delà de la lutte contre les gangs, le contrat évoquerait également la gestion de la frontière avec la République dominicaine. Chaque année, Haïti perd près de 4 milliards de dollars en contrebande, tandis que cette frontière demeure l’une des principales portes d’entrée du trafic d’armes et de munitions. Le CARDH reconnaît la nécessité d’un meilleur contrôle, mais insiste : cette mission doit rester une prérogative nationale. Le renforcement de la douane, de la police et des forces armées constitue, selon l’organisation, la seule voie durable.

Pour le CARDH, la véritable menace de cet accord réside dans ses conséquences sur l’avenir institutionnel du pays. Si, après dix ans, la police et les institutions fiscales ne sont pas renforcées, Haïti risque de replonger dans le chaos dès le départ de la firme privée. Plutôt que de bâtir des capacités internes, ce contrat pourrait au contraire les affaiblir, créant une dépendance périlleuse.

Le débat dépasse donc la seule question sécuritaire immédiate. Comme le souligne le CARDH, il s’agit de savoir si Haïti est prête à sacrifier une partie de sa souveraineté pour une solution rapide mais risquée, ou si elle choisira de miser sur ses propres institutions, au prix d’un effort plus long et plus difficile. « La frontière ne doit pas seulement servir à collecter des taxes, mais aussi à protéger nos richesses stratégiques », rappelle l’organisation, soulignant que la République dominicaine exploite déjà des terres rares en zone frontalière.

Malgré l’importance de l’enjeu, aucun dirigeant haïtien n’a encore pris la parole pour confirmer ou infirmer l’existence de ce contrat. Ce mutisme alimente les doutes et renforce la méfiance d’une population déjà fragilisée par l’insécurité et la crise institutionnelle.

Arnold Junior Pierre

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