
La crise haïtienne a une nouvelle fois occupé le devant de la scène internationale ce lundi lors d’une séance du Conseil de sécurité des Nations Unies consacrée à la situation sécuritaire du pays. Devant une assemblée préoccupée, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti, María Isabel Salvador, et l’ambassadeur haïtien Éricq Pierre ont dressé un tableau extrêmement sombre de l’état actuel du pays, entre montée en puissance des gangs armés et effondrement progressif des institutions.
« La République d’Haïti est en train de mourir à petit feu sous l’action combinée des gangs armés, des narcotrafiquants, et des trafiquants d’armes », a lancé Éricq Pierre, représentant permanent d’Haïti à l’ONU.
Face à la gravité de la situation, il en appelle à un sursaut de la communauté internationale : « Aux grands maux les grands remèdes : la République d’Haïti est disposée à discuter et à appuyer le cas échéant toute initiative de ses partenaires traditionnels visant à aider à débarrasser le pays des gangs qui terrorisent la population », a-t-il ajouté.
Un cri d’alarme partagé par María Isabel Salvador, qui a ouvert la séance par un avertissement sans détour : la situation s’est « encore dégradée depuis sa dernière intervention au Conseil », alertant sur le spectre d’un « point de non-retour » dans la crise haïtienne.
« Nous approchons d’un point de non-retour. Alors que la violence des gangs continue de se propager dans de nouvelles zones du pays, les Haïtiens vivent dans une vulnérabilité de plus en plus grande et sont de plus en plus sceptiques sur la capacité de l’État à répondre à leurs besoins », a déclaré Mme Salvador.
Depuis fin janvier, les groupes criminels organisés multiplient les offensives pour étendre leur emprise territoriale et miner davantage l’autorité de l’État. Après avoir semé la terreur à Kenscoff, leurs exactions se sont étendues dans les départements de l’Ouest, du Centre et de l’Artibonite.
Plus récemment, c’est Mirebalais qui a été la cible, avec une évasion massive de plus de 500 détenus, la cinquième en moins d’un an. Un acte délibéré qui, selon la cheffe du BINUH, vise à briser les derniers remparts institutionnels et instiller un climat de peur généralisé.
Mme Salvador a souligné les efforts menés par les autorités haïtiennes pour renforcer les forces de sécurité et améliorer la coordination entre la Police nationale, les Forces armées d’Haïti et la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS). Un budget révisé a été adopté le 14 avril en ce sens. Mais malgré ces efforts, « les forces de sécurité nationales ne peuvent réussir sans une structure de commandement unifiée et stratégique, libre de toute ingérence politique et opérant sous l’autorité civile », a-t-elle précisé.
Face à une situation sécuritaire qui paralyse tous les pans de la vie en Haïti, même la présence onusienne se voit entravée. L’isolement croissant de Port-au-Prince, dû à la suspension des vols commerciaux et à l’impraticabilité des routes, représente un défi logistique majeur. Le BINUH et les agences de l’ONU ont dû revoir leur déploiement et réduire leur présence physique dans la capitale. « Sans financement suffisant et prévisible, même une présence minimale des Nations Unies pourrait ne plus être viable », a-t-elle averti.
En parallèle à l’urgence sécuritaire, un effort est maintenu pour relancer le processus politique. Avec l’appui du BINUH, les autorités de transition ont réaffirmé leur engagement à organiser des élections d’ici février 2026, dans le cadre de l’accord conclu il y a un an.
Mais, comme l’a martelé la Représentante spéciale, « les efforts du Gouvernement haïtien ne suffiront pas pour réduire significativement l’intensité et la violence des groupes criminels ». Elle a exhorté les membres du Conseil à renforcer leur soutien à la MMAS, tant sur le plan financier qu’opérationnel, rappelant que « ce n’est pas un choix, mais une nécessité, car il n’existe aucune alternative viable ».
En février et mars 2025, 1 086 personnes ont été tuées et 383 blessées. Plus de 5 000 personnes avaient déjà perdu la vie au cours de l’année 2024, conséquence directe de l’explosion de la violence.
Le Conseil de sécurité a été marqué par des prises de position tranchées. L’administration Trump a exprimé clairement ses limites. « L’Amérique ne peut pas continuer à supporter un fardeau financier aussi important », a déclaré Dorothy Camille Shea, chargée d’affaires par intérim de la mission des États-Unis auprès des Nations Unies.
Christina Markus Lassen, représentante du Danemark, a été tout aussi directe : « Le temps des condamnations est révolu. Haïti est à court de temps. Les gangs armés continuent d’élargir leurs arsenaux et leurs territoires », a-t-elle déclaré, exhortant la communauté internationale à un engagement plus actif.
Mais c’est la Chine qui a livré la critique la plus virulente, accusant Washington d’avoir abandonné Haïti à un moment critique, après avoir contribué à la mise en place du Conseil présidentiel de transition aujourd’hui embourbé dans les controverses.
« Les États-Unis ont toujours été le leader de facto en matière de sécurité en Haïti », a rappelé Geng Shuang, représentant adjoint de la Chine, dénonçant la contribution minimale de la nouvelle administration américaine et l’imposition récente d’un tarif de 10 % à l’encontre d’Haïti.
La Chine, qui n’a pas contribué au fonds fiduciaire de la mission, tout comme la Russie, a accusé Washington d’utiliser « les États membres comme de simples distributeurs automatiques ».
Par: Daniel Zéphyr
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