Photojournaliste indépendant, Vladjimir Legagneur a disparu le 14 mars 2018 alors qu'il partait pour la réalisation d'un reportage à "Gran ravin", un quartier sous l’emprise des gangs à Port-au-Prince. Sept ans plus tard, aucune réponse concrète n’a été apportée sur son sort. Malgré une enquête ouverte et la découverte de son chapeau et d’ossements supposément liés à lui, le mystère reste entier. Entre l’indifférence des autorités et une mobilisation en déclin, le silence entourant cette affaire soulève de nombreuses interrogations.
Alors qu'il était âgé de 30 ans, Vladjimir Legagneur partait documenter les réalités d’un territoire gangrené par la violence. Connu pour son engagement à travers l’image, il cherchait à mettre en lumière les conditions de vie des habitants de Gran ravin". Mais il n’en est jamais revenu.
Deux jours après son départ, le 16 mars 2018, son épouse, Florette Guerrier, a alerté la police, inquiète de n’avoir aucune nouvelle. Depuis, elle attend toujours des réponses.
Une enquête sans issue
Face à cette disparition inquiétante, le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince de l'époque, Me Ocname-Clamé Daméus, avait annoncé l’ouverture d’une enquête.
Du côté de la police, la thèse de l’enlèvement a rapidement été écartée, aucune demande de rançon n’ayant été formulée. Pourtant, l’absence de pistes concrètes a alimenté frustrations et doutes quant à la volonté réelle des autorités de faire la lumière sur cette affaire.
Le 28 mars 2018, des ossements dépourvus de crâne et un chapeau [confirmé comme lui appartenant par sa femme, NDLR] avaient été retrouvés sur un terrain vague de "Gran-Ravin". La Police nationale, via Twitter, les avait considérés comme des "données précises" dans l'affaire. Selon Berson Soljour, alors directeur départemental de l'Ouest de la PNH, un test ADN devait être réalisé sur ces ossements. Toutefois, aucun résultat concluant, recueilli par notre rédaction, n’a jamais été rendu public pour confirmer s’il s’agissait bien du photojournaliste. Ainsi, le mystère est resté entier, laissant ses proches et la communauté journalistique face à un mur d’incertitudes.
En avril 2018, deux personnes avaient été arrêtées, suspectées d’être impliquées dans l’affaire. Il était question qu’elles utilisaient le téléphone du disparu.
Dans les mois suivant sa disparition, les médias et les associations de journalistes avaient multiplié les appels à une enquête sérieuse. Une marche blanche avait même été organisée à Port-au-Prince. Mais au fil des ans, cette mobilisation s’est essoufflée, engloutie par le silence des institutions et le tumulte d’une actualité marquée par d’autres crises.
Près de dix mois après, le juge d’instruction Jean Wilner Morin [actuellement numéro 1 de l'OPC, NDLR], qui enquêtait sur le dossier, avait invité, à titre de témoin, le député de la 3ème circonscription de Port-au-Prince, Printemps Bélizaire à se présenter à son cabinet le 6 décembre 2018. Cependant, le mandat du juge étant arrivé à son terme en fin d’année n’a pas été renouvelé, et l’on ignore si l’affaire a été confiée à un autre magistrat. De plus, le palais de justice de Port-au-Prince, situé au Bicentenaire, a été attaqué par les gangs du Village-de-Dieu, qui auraient emporté des dossiers sensibles s’y trouvant.
Un climat d’insécurité pour les journalistes
La disparition de Vladjimir Legagneur illustre le climat d’insécurité dans lequel évoluent les journalistes en Haïti. Travailler sur le terrain, enquêter sur des zones sensibles, c’est s’exposer à des risques considérables. Son cas n’est pas isolé : d’autres journalistes ont été menacés, attaqués, assassinés, réduits au silence, etc. Jacques Roche, Jean Dominique, Rospide Pétion, figurent parmi les martyrs du secteur.
Un article de l’UNESCO du 12 décembre 2024 a recensé au moins 68 journalistes et professionnels des médias tués [dans le monde, NDLR] dans l'exercice de leurs fonctions depuis le début de l'année. Plus de 60 % de ces meurtres ont eu lieu dans des pays en conflit, un pourcentage record depuis plus de dix ans.
Ce 14 mars, sept ans après, l’absence de celui qui collaborait avec Le Matin et Loop News demeure une énigme, et son nom résonne encore dans le vide laissé par l’inaction des autorités.
Que s’est-il passé ce 14 mars 2018 à Grand-Ravine ? Pourquoi l’affaire n’a-t-elle jamais été résolue ? Et surtout, pourquoi la mémoire de Vladjimir Legagneur semble-t-elle sombrer dans l’oubli ?
Tant que ces questions resteront sans réponse, son absence continuera d’être un symbole douloureux de l’impunité et des dangers qui menacent ceux qui, comme lui, cherchaient simplement à révéler la vérité.
Gran ravin, où le photojournaliste a disparu, demeure sous l’emprise des gangs. Comme l’a souligné l'ancienne ministre de la Justice et de la Sécurité publique sous le gouvernement d'Ariel Henry, Emmelie Prophète, la 3ᵉ circonscription de Port-au-Prince et d’autres zones sont aujourd’hui considérées comme des "territoires perdus".
La violence ne cesse de s’intensifier : les gangs cherchent à étendre leur emprise, contraignant de nombreux résidents à fuir vers des camps ou des provinces. Selon une étude du Conseil Citoyen pour la Sécurité Publique et la Justice Pénale, basé au Mexique, il fait mention qu'en 2024 Port-au-Prince a été classée comme ville la plus violente du monde avec 139,21 homicides sur 100 000 habitants.
Wideberlin SENEXANT
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