PubGazetteHaiti202005

OPINION :- Énergie-Barrage de Marion: Haïti, la grande impatience 

Barrage Marion( Nord Est )

Par Dr Frantz Bataille
Ambassadeur d´Haïti en Allemagne

                  
Au moment où la politique du sang, du meurtre et du feu bat son plein à Port-au-Prince et ailleurs, l’inauguration  dans le Nord-Est du barrage de Marion oppose un saisissant contraste au spectacle de ces sentiers battus alimentés à tort par plusieurs secteurs les uns aussi disparates que les autres. En attendant que sonne l’heure de vérité, ce barrage constitue un pas gigantesque dans l’effort consenti par le gouvernement de S.E.M. Jovenel Moise pour changer la vie, en particulier dans le pays profond. Le président a toujours insisté sur l’obligation qu’il incombe à l'état de se mettre au service de la nation. La preuve est évidente cette fois-ci dans l’arrière -pays du grand Nord  réputé pour  avoir été l’épicentre de la rébellion caco, au début du 20eme siècle. Une fois éteintes ces turbulences qui devaient déboucher sur l’occupation financière de 1915, le Nord d’Haïti est aujourd’hui l’une de ces pistes de rénovation nationale avec ces constructions appelées à être le témoignage de ce que peut réaliser l’esprit d’entreprise que l’on retrouve chez ceux- là qui tiennent à donner un visage nouveau à la nation.

 

Théâtre d’un intense besoin de changement au tournant du 20eme siècle,  le pays caco où l’historien de l’occupation américaine, Roger Gaillard a placé son inoubliable saga de la résistance haïtienne, le Nord-Est fait partie de  la Plaine du Nord qui, se prolongeant jusqu’à Monte Christi du côté dominicain, accueille aujourd’hui  une sorte de pèlerinage placé sous le signe d’une certaine métamorphose.  Le président Stenio Vincent qui  soulignait dans sa série En posant les jalons  avoir tiré   Haiti de sa  léthargie  doit sourire dans sa tombe devant ce spectacle de béton et de chutes d’eau qui servent aujourd’hui de décor à l'arrière pays de Terrier Rouge. Situé à Grand Bassin, au milieu d’un paysage d'aspect aride, le Barrage de Marion devra sous peu révolutionner le mode de vie des autochtones, selon un rythme qui n’a rien à voir avec ces manifestations mobilisant, à la capitale, le bon grain et l’ivraie d’une société en proie à une politique de névrose comme il n’ y en a  jamais eu dans le passé.

Destinées entre autres à fournir l'énergie électrique à une bonne partie des communes échelonnées en aval de Grand Bassin, nommément l’Acul Samedi, Savane Carre et Malfeti, la micro-centrale de Marion a au départ une quadruple vocation d’éco- tourisme, d’irrigation, de pisciculture, en plus de servir de réservoir d’eau à usage journalier et domestique. D'une capacité de 10 millions de mètres cubes d’eau, alimentées par une station au pompage solaire de 53 KW, avec  en même temps l’accès à l’eau potable, selon les techniciens de la DINEPA, ces infrastructures qui comprennent trois digues et deux conduites d’eau en terre de 1m2 de diamètre, avec un déversoir de 450 mètres cubes permettront l’arrosage de 10.000 ha de terres, ce qui favorisera  la culture de rizières pour ces populations disséminées autour du haut et du bas Maribaroux.

VERS  LA MODERNITE

Il est évident que ces images de modernité  traduisent un véritable branle-bas dans le  monde du pays en dehors, expression qui renvoie à des populations historiquement exclues. Restées longtemps isolées dans des régions d'accès difficile, ces populations réclament outre le désenclavement, mais également de l'eau pour leurs jardins, de l’énergie pour augmenter leur productivité,    revendications essentiellement liées à cette croisade pour la lumière qui semble bien être le cri de guerre du gouvernement de Jovenel Moise. Entrepreneur né, le President haïtien n’a eu de cesse de jeter les premiers rudiments de ces infrastructures, se lançant à visière levée dans une véritable politique de réaménagement du territoire : asphaltage, ponts, unités d’énergie lumineuse et  ouverture de voies de pénétration dans l’hinterland haïtien.


L’absence d’infrastructures et de décentralisation aura fait dire une fois au brillant économiste et ancien ministre des finances, M.Wilson Laleau que pour chaque dollar qui rentre dans le circuit économique haïtien, plus de trois quarts sont affectés aux biens et services uniquement circonscrits à Port-au-Prince au détriment de l’arrière pays, donc du plus grand nombre, occasionnant ainsi ces fins de règne sanglantes qui sont en général  le propre de notre histoire. Sans poser le problème de la lutte des classes, le President a su estimer non sans raison que le renouvellement du cadre de vie haïtien  pourrait inspirer cette révolution tranquille qui, selon  Alvin Toffler (le Choc du futur, ed. Denoel, Paris 1974) se résume dans le fait que tout changement à l’extérieur entraine un changement à l’intérieur, autrement dit, notre vision du monde et nos attentes sont liées au spectacle qui se déroule sous nos yeux.  Il n’y a pas de meilleure recette pour changer l'ordre des choses que cette révolution du regard  inspirée aux dires du futurologue américain par l’accélération qui donne son rythme à la société de masse. Les sociologues affiment d’ailleurs que l’histoire des hommes s’écrit au dessus du sol; en termes plus simples, le jaillissement d'une source, le percement d’une route au flanc dune colline, bouleverse bien le quotidien sans qu´íl soit nécessaire de recourir à la dialectique des armes …

  Le  roman de l'eau…

Fruit de la coopération haïtiano cubaine, le barrage  de Marion, le deuxième du genre après l’épique Peligre alimenté par le fleuve d’un Ártibonite resté sacré aux yeux des derniers nationalistes des années 60- appartient à une vieille légende qui est celle du dépérissement irrémédiable de la terre, thème romancé avec tant de souffle par Jacques Roumain. Jeté comme un voile sur cette vieille toile de fond, l’épuisement historique du monde paysan n’en finit pas de renvoyer au problème malthusien du déséquilibre population / ressources, d´où le spectre qui hante depuis toujours le drame de la terre, avec évidemment en perspective le grand soir rouge…

S´il  est prématuré de souligner les premiers balbutiements de cette révolution tranquille, il n’empêche que les signes soient déjà évidents de ce que sera l’Haïti de demain. L'arrivée du téléphone dans l´arrière pays, la radio, et les transferts venus de la diaspora, l’internet  ont déjà bouleversé la matrice de ce pays,  comme ce fut le cas dans les annexe 60, soulignait déjà Gerard Gourgue. La technologie,  à l’exemple de la roue d’Archimede, a fait chuter bien des barrières, réduisant la planète à ce village  global  qui n’est plus une nostalgie.  Sans se le dire, Haïti qui est déjà le berceau de la parfumerie mondiale- ce qui aurait du faire de ce mal aimé du monde occidental une sorte de rendez vous du jet set,- s’ouvre pour le moment  bon gré  mal gré  à l’économie mondiale, rien qu´avec ce  port international du Grand Sud haïtien-  tandis que les jets d’Hillary Clinton qui continuent d’atterrir dans le Grand Nord à destination de Caracol disent suffisamment et non sans raison que malgré ses épisodes sanglants,  Haiti est bien le siège dune certaine impatience…
 
Il faut espérer que l’économie de la continuité  et l’esprit de suite soient dans le futur une exigence pour ces questions vitales et que, en dehors de la lutte des classes, et de l’obsession maladive du pouvoir, la révolution  aura elle aussi quelque chance de passer sinon essentiellement  par une politique de réaménagement du territoire et de redistribution de la richesse nationale, mais du moins par  une approche plus saine des affaires de la cité, telle qu’elle puisse ouvrir la voie aussi bien à un certain compromis qu’à  un certain équilibre.

A ce compte, même  sous le signe de la lumière et du sang à la fois,  le règne de Jovenel Moïse aura essentiellement servi à ce que, dans les années 60, l’Afrique noire pouvait déjà percevoir comme le frémissement des indépendances.

 

 

 

Category

Politique

Culture

Economie

Sport