PubGazetteHaiti202005

L’ULCC transmet à la justice un rapport accablant sur l’ex-DG de l’OFATMA, Carl François

Photo archive G@zette

Dans un contexte national marqué par une profonde instabilité institutionnelle, l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) a présenté, le jeudi 8 mai 2025, six rapports d’enquête qu’elle entend transmettre au commissaire du gouvernement. Parmi ces documents figure un dossier particulièrement grave impliquant l’ancien directeur général de l’OFATMA, le docteur Carl François. L’organisme dénonce une gestion entachée de pratiques illégales, évoquant notamment des violations fiscales, des conflits d’intérêts et des passations irrégulières de marchés publics.

Le rapport publié par l’ULCC accuse l’ancien directeur général de l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA), le docteur Carl François, de malversations financières graves. Deux entreprises privées, Valcuisine et Oley Event & Food Services, auraient bénéficié de versements publics totalisant 107,6 millions de gourdes, sans qu’aucune retenue fiscale n’ait été appliquée, comme l’exige pourtant la loi. Le manque à gagner pour l’État s’élèverait à plus de 2,1 millions de gourdes.

L’ULCC pointe notamment un contrat de restauration signé le 1er juillet 2022 entre l’OFATMA et la société Valcuisine, à une période où celle-ci n’était pas encore légalement enregistrée. L’enquête révèle que l’entreprise n’a été formellement reconnue que deux mois plus tard, le 5 septembre 2022, ce qui constitue une violation flagrante des règles de passation de marchés publics.

Ce contrat douteux prend une dimension plus politique lorsqu’on apprend que Valcuisine est co-détenue par Valérie Nadia Victor, militante du parti MTVAyiti, auquel appartenait également Carl François. Selon le rapport, ce dernier aurait été nommé à la tête de l’OFATMA sur recommandation de Réginald Boulos, leader de MTVAyiti, auprès du Premier ministre Ariel Henry. Pour l’ULCC, cela constitue un indice sérieux de prise illégale d’intérêts et de favoritisme politique.

L’institution de tutelle, le ministère de l’Économie et des Finances (MEF), recommande dans le rapport que la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) procède à un audit complet de la gestion de Carl François. Elle appelle également à la résiliation immédiate des contrats conclus avec les entreprises incriminées, à une restructuration de la commission des marchés publics de l’OFATMA, ainsi qu’au recouvrement des fonds dus au fisc.

Lors de la conférence de presse de présentation des rapports, le directeur général de l’ULCC, Me Jacques Hans Ludwig Joseph, n’a pas mâché ses mots. Dans un discours à la fois grave et lucide, il a dépeint un pays en chute libre, victime d’un « recul démocratique inquiétant », d’« une instabilité institutionnelle préoccupante » et d’« une crise humanitaire déshumanisante ».

« Nos enfants, nos jeunes, nos filles, nos femmes sont tués, violentés, humiliés. Et malgré ce tableau sombre, les opérateurs de la corruption continuent de multiplier leurs stratégies dans presque toutes les sphères de l’État pour piller, détourner et saigner le Trésor public — avec la même arrogance et la même cruauté que les bandits armés », a dénoncé Me Joseph, la voix chargée d’émotion.

En réponse aux soupçons d’instrumentalisation politique, le directeur général a tenu à réaffirmer l’impartialité de l’ULCC. Il a insisté sur le fait que les enquêtes sont menées indépendamment des affiliations politiques des personnes concernées.

« Qu’il soit clair : à l’ULCC, nous ne faisons aucune différence. Nous poursuivons tous ceux qui abusent de l’État, sans considération politique ni personnelle », a affirmé Me Jacques Hans Ludwig Joseph.

Le rapport sur l’OFATMA n’est que l’un des six documents rendus publics. D’autres enquêtes pointent des irrégularités dans les missions officielles de l’ancien Protecteur du citoyen, Renan Hédouville, ainsi qu’au sein de la direction départementale des impôts du Centre et du Centre de Réception et de Livraison de Documents d’Identité (CRLDI/DIE).

Ces révélations successives illustrent, selon le chef de l’ULCC, une corruption systémique profondément enracinée dans les rouages de l’administration publique haïtienne. Elles confortent également l’idée que la gouvernance actuelle n’a pas su mettre en place un mécanisme de contrôle efficace.

Dans le cadre de ce rapport, l’ULCC recommande aussi le gel immédiat des comptes bancaires des entreprises Valcuisine et Oley Event & Food Services, afin de prévenir toute tentative de dissimulation ou de transfert de fonds.

En outre, des poursuites sont proposées non seulement contre Carl François, mais également contre deux autres personnes citées dans le rapport : Valmine Jean Jacques et Valérie Nadia Victor, accusées de « faux et usage de faux ».

Ce nouveau rapport éclaire davantage les pratiques opaques au sein de plusieurs institutions publiques. En agissant ainsi, l’institution anticorruption espère non seulement responsabiliser les auteurs de détournements, mais aussi envoyer un message fort à ceux qui continuent de croire que l’impunité est la norme.

Le cas Carl François, par son ampleur et ses ramifications politiques, pourrait devenir un test décisif pour les institutions judiciaires du pays. Reste à savoir si la justice haïtienne, dans un climat d’insécurité et de désordre généralisé, saura aller jusqu’au bout.

« Ce combat est aussi celui de notre survie collective », a conclu Me Joseph. « Si nous ne combattons pas la corruption avec la même énergie que nous luttons contre l’insécurité, c’est tout notre avenir que nous laissons entre les mains des prédateurs. »

Arnold Junior Pierre

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