
Dans le cadre d’un rapport transmis ce jeudi 8 mai 2025, l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) révèle de graves irrégularités liées à l’utilisation des frais supplémentaires exigés aux demandeurs de passeport pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2023. Cette enquête fait suite à une dénonciation de l’OCNH concernant les opérations des Centres de Réception et de Livraison de Documents d’Identité (CLRDI) de la Direction de l’Immigration et de l’Émigration. Plusieurs personnes font l’objet de poursuites judiciaires.
Des dépassements flagrants et des pratiques douteuses dans les centres de passeport
Saisie d’une dénonciation de l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH), l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) a mené une enquête sur l’utilisation des frais additionnels exigés par les Centres de Réception et de Livraison de Documents d’Identité (CLRDI) pour la délivrance des passeports. Au terme d’une investigation approfondie, l’ULCC a mis au jour un ensemble de pratiques frauduleuses ayant généré un surplus de 72,5 millions de gourdes en dehors du cadre légal.
L’enquête s’est appuyée sur les auditions de plusieurs responsables administratifs, comptables et fonctionnaires impliqués dans la gestion des CLRDI. Il en ressort que ces frais – allant jusqu’à 2 500 gourdes pour un passeport perdu – ont souvent été perçus en violation de la circulaire ministérielle du 27 juillet 2022, elle-même jugée illégale par l’ULCC.
Un système organisé hors du cadre légal
Selon le rapport, la circulaire émise par l’ex-ministre de l’Intérieur Liszt Quitel avait établi une grille tarifaire pour les demandes urgentes ou spéciales. Toutefois, la commission d’enquête a noté que les centres ont largement dépassé ces montants, imposant parfois le double des frais prévus. C’est notamment le cas du centre de Tabarre, qui a exigé 2 000 gourdes pour les demandes d’extrême urgence au lieu de 1 000 gourdes, générant un excédent de 14,1 millions de gourdes. À Pétion-Ville, un surplus de 32,3 millions de gourdes a été constaté, alors que le centre de Delmas affichait 22,9 millions de gourdes de recettes non conformes.
Les responsables de ces centres – William Étienne, Marriantha Méroné, Jude Marcelin et René Jacques Laguerre – sont pointés du doigt pour avoir perçu ces frais indûment, alors qu’ils savaient qu’aucune base légale ne justifiait ces montants. Ils sont ainsi poursuivis pour concussion, selon la loi du 12 mars 2024 relative à la lutte contre la corruption.
Une gestion opaque des fonds collectés
Le rapport souligne également une gestion informelle et non transparente des fonds perçus. D’après les déclarations recueillies, ces frais supplémentaires servaient à couvrir les dépenses quotidiennes des CLRDI – carburant, personnel, équipements – sans aucun contrôle de la Direction Générale des Impôts (DGI), normalement en charge de la collecte des recettes publiques. Les paiements s’effectuaient directement en espèces, sans traçabilité ni supervision, renforçant les risques de détournement.
Jean Osselin Lambert, directeur par intérim de la DIE, a lui-même reconnu que le transfert des fonds vers la comptabilité centrale se faisait « selon le bon vouloir des responsables », sans obligation ni régularité. Dans plus de 75 % des cas, les dépenses étaient engagées sans autorisation formelle, ni pièce justificative, ni rapport comptable.
Une circulaire illégale et des violations multiples du droit
L’ULCC dénonce par ailleurs l’illégalité de la circulaire de juillet 2022, qui contrevient au décret de janvier 2021 publié dans Le Moniteur, fixant les droits de passeport. L’article 218 de la Constitution impose en effet que toute taxe soit établie par la loi, ce qui n’était pas le cas ici. Cette décision unilatérale du ministre de l’époque constitue, selon l’ULCC, un excès de pouvoir.
Des poursuites en vue et des recommandations
En plus des recommandations de poursuites judiciaires pour concussion à l’encontre des responsables incriminés, le rapport recommande une révision en profondeur du système de perception des frais dans les CLRDI. L’ULCC insiste sur la nécessité de réintégrer la DGI dans le circuit des recettes liées aux documents de voyage et d’instaurer un mécanisme de contrôle strict et transparent pour éviter toute répétition de ces dérives.
Toutefois, l’ULCC recommande des poursuites contre William Étienne, Marriantha Méroné, Jude Marcelin et René Jacques Laguerre, accusés de concussion pour avoir perçu illégalement plus de 72 millions de gourdes. L’ex-ministre Liszt Quitel est également visé pour excès de pouvoir.
Ces derniers temps, les failles systémiques de la gestion administrative haïtienne sont fréquentes, où l’absence de régulation et le contournement de la loi ouvrent la voie à la corruption. L’enjeu, désormais, est de savoir si la justice ira au bout de cette affaire.
Wideberlin SENEXANT
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