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Haiti/Culture:- LE TEMPS DES SOUVENIRS: LE MOUVEMENT DÉMOCRATIQUE EN HAITI 1971-1986

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Port-au-Prince, Le Samedi 02 Mars 2019
( www.gazettehaiti.com)

Compte Rendu de Lecture de l’ouvrage de Jean Robert Herard

 

Rubrique: Rendez-vous avec Les Livres

 

  • Deuxieme Partie

 

Jean Robert Hérard nous plonge dans les mélasses de la vie journalistique sous Duvalier fils avec un gros coup de projecteur sur Dieudonné Fardin.  Une vie, un parcours comme toujours dans ce pays, le fondateur du « Petit Samedi Soir » a failli passer dans les oubliettes de l’histoire. Les souvenirs de Jean Robert Herard sont aussi les siens « La revue le Petit samedi soir, avec le professeur de littérature Dieudonné Fardin, a pris naissance dans ce nouveau contexte. Fardin, par mesure de précaution, avait sous titré sa publication «Revue de l’actualité culturelle».  C'est moi qui souligne. Dans un article la tête du P.S.S », Dany Laferrière avait fait parler Fardin : le petit samedi soir, fondé le 22 Janvier 1960, à Port de paix a commencé à paraître à Port au prince en juin 1971 à l’étage de l’immeuble baboune au 53 de la rue Pavée. Ce journal a connu une première vague de collaborateurs parmi lesquels on peut arranger les Édouard C Paul, Herodote Megalos, Théodore Achille qui sera plus tard un Ministre puissant du gouvernement de Jean-Claude Duvalier, Robert Beauduy lui aussi sera Ministre du commerce de Dubail Eddy Léandre, Jean claude Fignole, Michel Soukar, Pierre Antoine Wilner fils, Lionel Vilfort ect. 

Un mot sur Dieudonné Fardin

De tels exercices mémoriels dans un pays ou rien n’existe qui puisse l’entretenir auprès de la jeunesse montante, ce livre fait œuvre qui vaille. L’auteur nous donne à voir une ribambelle de personnages aussi énigmatiques que secrets. Parmi eux un homme dont je me suis toujours interrogé sur son tropisme tant il a navigué dans les méandres politico-journalistiques avec toujours les mêmes indiscrétions et les mêmes vigueurs sans vraiment se livrer. Dieudonne Fardin de son vrai nom Louis Marie Benoit Pierre est natif de Port de paix. L’auteur a construit un portrait qui a du mordant, qui dit beaucoup sur cet homme qui avait fondé en plein Jean Claudisme triomphant le Petit Samedi soir : « Un mot sur Fardin. Je pense qu’il mérite le respect de tous. Ce fut très courageux et noble de sa part que de permettre à de jeunes talents de s’épanouir dans le domaine de l’écriture. De Port de Paix d’où il venait, il aurait été plus naturel de le voir dans le camp Duvalieriste, surtout à une époque où le régime, en quête de renouveau et de sang neuf, catapultait de jeunes turcs dans les allées du pouvoir. Mais Dieudonne Fardin avait fait un choix délibéré. On me rétorquera que l’option Duvalierienne était dormante en lui puisqu’on a fini par le retrouver dans le congrès de Vertaillis avec Roger Lafontant en 1990. Je crois que l’anthropologue français Gérard Barthelemy a donné un élément de réponse sur cette position prise par Fardin à propos des Duvaliéristes acculés par la montée impétueuse du courant Lavalas. Mais, il reste le fait que, dans les années 70, il entendait, comme nous, défendre des principes. Et il l’a fait avec courage. Au risque de sa vie. Je le revois encore avec des yeux vifs et mobiles, son allure froide, ses épaisses lunettes qui pesaient fortement sur son nez camus, organiser ces jeunes loups que nous étions pour partir à l’assaut d’une citadelle jusqu’ici réputée imprenable ». 

Il est vrai dans ce pays on va vite en besogne pour s’en prendre à des gens qui n’ont pas démérité au moment où l’on devrait faire des choix, au péril de leur vie. Si l’on doit classer les Duvalieristes en fonction de leurs crimes, Fardin n’est pas du lot, on peut même admirer son courage pendant les années de plomb Duvaliériste ou l’on pouvait mourir en prison pour une peccadille. 


Des portraits, toujours des portraits il faut dire les titans de la plume et des micros en ces années-là marchaient avec leurs  cercueils sous leurs bras. De nos jours on peut acheter un journaliste ou des micros pour raconter des sornettes voire même diffamer sans que cela n’émeuve personne. Autres temps autres mœurs parfois « le Petit Samedi Soir» ou encore « l’information » de Jean Robert Auguste était tout simplement saisi par la maréchaussée ou par les Ministres d’Etat en personne. Alors que mon cousin et moi nous étions collégiens dans la capitale nous assistions à des bastonnades car des personnes voulaient faire l’acquisition de l’organe du parti de Grégoire Eugène. Désormais la presse de mon pays est libre comme le vent et beaucoup de journalistes ne savent ou ignorent tout simplement que d’autres ont été assassinés, exilés, brutalisés pour qu’ils soient libres aujourd‘hui . Jean Robert Herard continue d’égrener le chapelet des souvenirs distribuant des bons et mauvais points rappelant ci et là le parcours des uns et des autres toujours avec une élégance de style qui sied bien à l’exercice. Parfois le curseur s’arrête sur un nom et tout à coup on se souvient que celui-là a été fauché en pleine ascension, c’est le cas d’Ézéchiel Abélard. Ce journaliste reporteur décédé de tuberculose à Fort Dimanche. La machine infernale Duvaliériste continue de faucher les êtres et elle va emporter peut-être l’un des meilleurs journalistes haïtiens de cette époque Gasner Raymond qui a précipité le départ du futur académicien Dany Laferrière du pays. Les deux faisaient des reportages pour le compte du Petit Samedi soir. Radio Haïti inter avec Jean Dominique et une pléiade de jeunes journalistes, de radio métropole, si elles n’étaient pas des adversaires déclarés du pouvoir en place à l’instar de Radio Vovon qui troubla le sommeil du docteur président François Duvalier a maintes reprises, il faut reconnaître qu’elles avaient coffré le régime en le mettant devant les contradictions de ses mensonges. Le portrait de l’Académicien Haïtiano-Canadien donne le vertige et ce n’est pas Dany lui-même qui dira le contraire : « Dany LaFerriere, enfin, fut l’original par excellence ; l’homme qui sut transformer le langage journalistique. Un révolutionnaire du langage, commentait, à juste titre, un lecteur admiratif. Oui, un inventeur. Il Inventait tout. D’abord un style propre. Ensuite des rubriques originales qui collaient bien. Mais en 1976 ce magicien des mots travaille par l’incertitude et l’angoisse nous a laissés et est parti pour Canada. Dans le froid rigoureux de Montréal, Dany ne nous a pourtant pas oubliés puisqu’il évoquera ses camarades dans le cri des oiseaux fous et les années 1989 dans sa vieille Ford »

Les voix engagées  des années 80 Manno et Marco.

Au gré des souvenirs distillés tantôt avec parcimonie tantôt avec un flegme de militants qui regardent nos travers dans des rétroviseurs grossissants, la misère haïtienne comme un étendard sans fin qui sillonne nos rues, qui galopent dans les ventres creux ont permis à l’auteur d’accoucher des métaphores sublimes pour parler notamment des parcours de deux monstres sacrés de la musique engagée haïtienne des années 1980, Manno Charlemagne et Marco. Deux voix qui allaient faire trembler la citadelle Duvaliériste et que l’on a découvertes à Radio Métropole avec un Richard Brisson comme découvreur de talents. Dans cette rubrique Manno et Marco reviennent souvent sous la plume de l’auteur et avec ces deux-là on descend dans le bas fond de la misère sociale haïtienne. La poésie et les métaphores viennent au secours de l’auteur dans ses descriptions poétiques : « Emmanuel Charlemagne, cet autre enfant du pays, comme je désignais dans cet article de 1979, était ce petit garçon plein de foi qui a pu se tailler une place dans le monde des adultes. Il a longtemps vécu les violents soubresauts du rêve cauchemardesque qui est le lot des gens de sa condition. Les meurtrissures de cette existence crépusculaire se voyaient encore sur son visage émacié. Les cauchemars se succédaient au cours des longues nuits mouvementées où la misère faisait crisser les parois de bois de cette masure, où sa mère, pourtant courageuse, ne pouvait plus retenir ses chaudes larmes. La mèche de la petite lampe consumait les dernières espérances d’une famille hantée par une sorte de désolations de fin de monde. » On comprend mieux certaines chansons qui n’ont pas été le fruit de l’imagination mais bel et bien des choses vécues. En général celles-ci donnent de bons résultats. Dans le panthéon des chansons haïtiennes consacrées à la fête des mères celle de Manno est un pur chef d’œuvre. 


Haiti et le théâtre de la guerre froide 

Depuis toujours l’international crache ses cendres de feu sur Haïti aux temps de la guerre froide, ce fut quasiment une religion d’alignement et notre lieu géographique dit déjà dans quel camp vous êtes. Ah la guerre froide, pourtant celle-ci n’avait rien de froide, c’était un chaudron, une cocotte-minute, qui bout tout le temps et Haïti avait à sa tête, un dictateur qui fit commerce avec le grand voisin de la guerre froide. L’auteur nous entraine sur l’échiquier des guerres froides avec des analyses très pointues sur ce qui opposait les États-Unis et l’ex Union-soviétique. Les théâtres des guerres de procuration que se livraient russes, américains dans le monde ont eu des répercussions sur le mouvement démocratique, affirme l’auteur en argumentant chaque point soulevé : « Le mouvement indépendant en Haïti a joui, il faut le reconnaître d’une conjoncture internationale marquée par des bouleversements qui touchaient les pays d’Asie de l’Amérique Latine et de la Caraïbe. Le paysage politico-diplomatique des années 70 restera le laboratoire d’expériences politiques nouvelles dans les pays du tiers monde. Cette décennie a été le témoin d’un profond désir de changement chez ces peuples dont les revendications les plus légitimes s’étaient heurtées à la muraille de la réaction internationale »

ÉLECTIONS OFFICIELLES OU CANDIDATS SÉLECTIONNÉS 

Haïti continue de se vautrer dans une dictature héréditaire qui tournait à plein régime ; les élections officielles se succèdent aux élections officielles mais voilà que l’on ne pouvait pas toujours mettre tous les oiseaux dans la même cage. Il y en a deux qui se sont envolés, qui ont failli emporter le régime, lors des élections législatives de 1979. Hervé Lerouge et Rocffeler Guerre avaient brisé le consensus mou pour s’implanter et être élus haut la main. Leur bilan mi-figue mi-raisin, à part quelques escarmouches bon enfant, avec la vieille garde Duvaliériste, emmenée par un vieux dinosaure aux discours chargés des Métaphores poétiques à gogo. Jaurès Lévêque l’inamovible Président de la chambre qui dirigeait un troupeau à 90% Duvaliériste : « Pour la première fois depuis de nombreuses années, un citoyen Capois, semblant sorti subitement d’un donjon de la citadelle Laferrière, vint se lancer avec armes et bagages dans l’arène. Il se porta candidat pour la circonscription avec un appui populaire solide évident, mais sans l’aval du pouvoir. Lerouge Who is who qui est qui ? Un rêveur ? Un illuminé ? C’est exactement le genre de nouvelles dont la presse de l’époque raffolait pour approfondir la rhétorique contestataire. Alexandre Lerouge s’était auto-dénommé candidat indépendant. Son slogan de campagne : Lerouj têt kale crâne rasé » 

Comme quoi on n’a rien inventé du tout ; tout a été déjà dit, dans le Landerneau sociopolitique-Haïtien. À propos de Jaurès Lévêque justement cette histoire familiale est connue que des militants des années 1980. En effet le fils de Jaurès Lévèque, Louissaint du même nom, faisait partie de la bande à Lionel Lainé et feu Sénateur Tunerb Délpé rentré en territoire haïtien avec armes à la main pour renverser la dictature héréditaire. Alors il faut savoir que les familles Haïtiennes étaient divisées. Ainsi on rencontre des tontons macoutes qui côtoient des communistes répartis dans des cellules. Parfois des pères militaires organisent des séances de tortures au palais et le fils militant du parti unifié communiste haïtien. Passons aux choses sérieuses dont mes souvenirs sont aussi précis que des horloges Suisse tant j’écoutais mes aînés cousins et cousines qui participaient et parlaient de politique à la maison. Ah ce soir du 9 novembre 1979 alors que les chansons de noël se succèdent aux chansons de noël dans les stations quand mes cousines en pleurs arrivèrent et affirmèrent que l’on a tué « maître Gourgue » l’une d’elle avait la robe maculée de sang. L’auteur a dressé un état des lieux dans un époustouflant procès-verbal fruit d’un témoignage oculaire sous fond de reportages, choses vues cher à Joseph Pulitzer. Ce jour a marqué d’une pierre blanche dans l’histoire Les Duvaliéristes ont inventé l’esthétisme du terrorisme d’Etat. « Il y eut d’abord les propos d’introduction de la vice-présidente de la ligue, Mme Irma Râteau, chaudement applaudie par le public. L’atmosphère était visiblement surchauffée. Quand ce fut le tour de Maitre Gérard Gourgue de prendre la parole, celui-ci comme mu par un fort pressentiment de ce qui allait se passer, adressa ces mots à l’assistance : « je vous demande de garder votre calme, d’observer la discipline pour que vous ne soyez pas les victimes inconscientes des provocations dressées sous vos pas. »

LES OPPOSANTS AU POUVOIR HÉRÉDITAIRE 

Ces années 1980 au royaume du pouvoir Duvalieriste les contradictions s’amoncelaient de toutes parts et les processus des décisions politiques n’ont ni tête ni queue, comprenne qui pourra. Les nouveaux ministres d’Etat lancèrent des processus de décisions politiques qui n’ont pas abouti, on peut se demander à quoi obéissent leurs décisions ? On passa d’un registre à l’autre sans s’arrêter. On oublie vite les calvaires des opposants politiques comme Sylvio Claude en tête de gondole, suivit de Maître Grégoire EUGENE, Constant D Pognon. 

Jean Robert Hérard a raconté leurs calvaires qui allaient de bastonnades aux arrestations musclées où femmes et enfants n’étaient pas épargnés. La grande rafle du régime contre les journalistes occupe une place de choix, on sait tout sur cette fameuse journée du 28 Novembre 1980. A ce stade ,l’auteur n’analyse plus mais raconte ses péripéties dans les geôles du régime. Ce sont des voyages cauchemardesques à plus d’un titre. Pour la première fois nous sommes entrés au cœur du dispositif répressif qui avait conduit à l’arrestation puis détention, expulsion simultanée pas moins d’une vingtaine de journalistes arrêtés : 

« Il était vingt-deux heures ce vendredi 28 novembre quand on conduisit, Clitandre et moi, uniquement vêtus de caleçons, à la cellule dont les dimensions ne dépassaient pas cinq mètres carrés, gisaient deux matelas de paille, visiblement sales, recouverts de taches étranges dont j’avais du mal à identifier la provenance. Je ne savais pas s’il s’agissait de taches de sang séché, de vomissure ou du pissat. Cette nuit fut la plus longue de ma vie »

 Ce livre n’est qu’un tas de procès-verbaux d’un journaliste qui a vu et vécu. Au-delà, il a consigné les souvenirs bons ou mauvais dans un seul élan journalistique qui prennent place dans un vaste mouvement de reconquête de la vérité face au pouvoir duvaliérien. Les années passant la jeunesse et certains cyniques patentés veulent ensevelir les mémoires douloureuses de cette période sous des dalles nauséabondes. Sur ce point, ce livre est une réussite totale. Que ceux qui ont vécu les méfaits de la dictature prennent la plume comme Jean Robert Hérard.

M.D

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