PubGazetteHaiti202005

Opinion: Conflit Haïti-République Dominicaine : Vers un règlement par la diplomatie malgré les tensions

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Par Jean-Robert Hérard

Haïti et la République Dominicaine ont connu des trajectoires historiques et socio-économiques profondément divergentes. Alors que la République dominicaine a enregistré des progrès économiques significatifs au cours des dernières décennies, avec une croissance soutenue et une modernisation de ses infrastructures, la République d’Haïti, elle, demeure plongée dans une stagnation économique chronique, parfois même marquée par un recul inquiétant. Ces orientations divergentes se sont développées dans un contexte de tensions historiques entre les deux nations, exacerbées par des enjeux récurrents, notamment la question migratoire qui alimente constamment les différends bilatéraux et les incompréhensions de part et d’autre. 

L’année dernière, un premier point de discorde a émergé autour de la construction du côté haïtien d’un canal sur la rivière frontalière Massacre. Plus récemment, un nouvel enjeu, encore plus dramatique, s’est imposé : la décision de l’État dominicain de déporter massivement des dizaines de milliers d’Haïtiens chaque semaine. Ce durcissement migratoire s’accompagne de scènes d’arrestations brutales et souvent arbitraires, largement diffusées sur les réseaux sociaux, accentuant le malaise entre les deux nations.
Si cette crise exacerbe les relations, il est impératif de rappeler que le dialogue reste la seule issue viable pour résolution pacifique.
Car nous ne sommes pas à notre première crise. Il y eut des situations beaucoup plus délicats par le passé. En mai 1963, après qu’une horde de Tontons macoutes du dictateur haïtien Papa Doc Duvalier, à la poursuite d’opposants, eut envahi la chancellerie diplomatique de la République dominicaine, clairement un casus belli, le président dominicain Juan Bosch déploya des navires de guerre prêtes à pénétrer dans les eaux territoriales haïtiennes et des troupes dominicaines furent à la frontière. Duvalier en fit de même. La guerre semblait imminente. Les États-Unis et l’Organisation des États américains (OEA) se sont vite interposés pour jouer les médiateurs. Le chancelier haïtien René Charlmers et le ministre des Relations extérieures de Bosch, Vito Constantino Galíndez, n’étant pas des novices en la matière, ont su gérer la crise au mieux des intérêts des deux Républiques.
Au début des années 1990, la République dominicaine et le Vatican étaient les seuls États au monde à reconnaitre le régime putschiste du général Raoul Cédras entre septembre 1991 et octobre 1994. Pourtant le gouvernement constitutionnel du président Jean-Bertrand Aristide, renversé par ce coup d’État sanglant, réfugié à Washington, n’avait pas totalement coupé les ponts avec le gouvernement ouvertement hostile de Joaquim Balaguer.

La diplomatie face aux défis migratoires
Historiquement, la diplomatie a toujours été un outil puissant pour désamorcer les conflits entre États, même dans des contextes de crise intense. Dans le cadre des relations haïtiano-dominicaines, il est essentiel de souligner que les mécanismes et dispositifs pour gérer ces problématiques existent déjà. En effet, vers 1996-2000, les présidents haïtien René Préval et dominicain Leonel Fernandez avaient signé une série d’accords sur la question migratoire, dont l’un définissait de manière précise et détaillée les procédures de rapatriement. Un autre texte portait sur la lutte contre la contrebande, marquant ainsi la volonté des deux nations d’aborder ces défis de manière concertée. Ainsi, il ne s’agit pas aujourd’hui de réinventer la roue, mais de privilégier le dialogue pour relancer les travaux de la Commission Mixte et appliquer les documents déjà existants.
Le premier mandat du président Préval (1996-2001) avait d’ailleurs démontré l’efficacité d’une approche diplomatique cohérente, à une époque où le ministère des Affaires étrangères était dirigé par Fritz Longchamp, un intellectuel progressiste qui a su gagner le respect des partenaires dominicains et internationaux. Ce gouvernement avait compris que, malgré les avancées économiques de la République dominicaine sur Haïti. Les capitalistes dominicains dépendaient aussi du marché haïtien pour l’écoulement de certains produits. Ce n’est pas un hasard si, entre 1996 et 2001, les tensions entre les deux pays étaient moins vives. Durant cette même période. Le ministre haïtien de l’Éducation nationale, feu Gabriel Bien-Aimé, avait signé avec son homologue dominicaine, Milagros Ortiz Bosch, un accord offrant aux étudiants haïtiens un accès facilité aux universités dominicaines.
Ces rappels permettant de comprendre que la diplomatie a toujours été un outil clé pour la gestion rationnelle des problèmes migratoires. Haïti et la République dominicaine ont surmonté des crises beaucoup plus graves par le passé, et il est possible de réactiver des dispositifs légaux existant pour répondre aux défis actuels.
Les tensions entourant les déportations ne sont pas uniquement le fruit de l’application d’une politique souveraine, mais aussi de pressions internes au sein de l’Establishment dominicain. Le président Luis Abinader subit une pression accrue de l’aile ultranationaliste de son parti qui voit dans la fermeté migratoire une réponse aux craintes xénophobes d’une partie de la population.  La décision de déporter massivement des Haïtiens vise donc en partie à répondre à ces exigences internes.
Du côté haïtien, force est de reconnaitre que la réaction de la ministre des Affaires étrangères, madame Dominique Dupuy, manque de finesse diplomatique. En choisissant de critiquer ouvertement la République dominicaine sur la scène internationale, notamment à l’OEA, elle a contribué à bloquer des canaux de communication pourtant cruciaux. La diplomatie de confrontation adoptée par Haïti a davantage renforcé le nationalisme extrême du secteur anti-haïtien, rendant plus difficile toute forme de dialogue constructif.

Le dialogue, seule issue durable
Les solutions ne viendront pas d’une surenchère de mesures coercitives ou de provocations diplomatiques. Au contraire, l'histoire récente montre que les différends, qu'ils soient territoriaux ou migratoires, peuvent être résolus par la négociation. Un dialogue structuré, avec la participation de médiateurs neutres ou d'organisations régionales, pourrait être la clé pour sortir de cette impasse.
La République dominicaine, en tant qu'économie plus avancée dans la région, a tout intérêt à maintenir une relation stable et pacifique avec Haïti. L’instabilité permanente en Haïti ne fait que renforcer les flux migratoires que la République dominicaine cherche à contrôler par des moyens drastiques. Mais des déportations massives sans planification ni respect des droits fondamentaux ne feront qu’aggraver la situation humanitaire à la frontière, créant des frictions supplémentaires. La gestion de la question migratoire par le biais d’accords bilatéraux, dans le cadre d'un dialogue structuré et sincère, pourrait permettre d'éviter ces violations flagrantes des droits humains.
Haïti, quant à elle, doit se doter d’une équipe diplomatique compétente et mesurée, capable de naviguer dans ces eaux troubles avec prudence et expertise. Les responsables actuels, notamment la ministre des Affaires étrangères, doivent prioriser le dialogue sur les démonstrations de force verbale. Une véritable ouverture à la discussion pourrait aboutir à des accords tels qu’un moratoire temporaire sur les déportations, permettant ainsi de traiter les causes sous-jacentes de la migration.

La voie de la raison et du dialogue
La balle est maintenant dans le camp du Conseil présidentiel de transition qui, sous la houlette de son nouveau président, l’architecte Leslie Voltaire, doit prendre des mesures immédiates, en ce moment critique, pour protéger les intérêts nationaux et restaurer des relations apaisées avec le voisin dominicain. Puisque monsieur Voltaire, selon toute vraisemblance, ne sera pas un président veule, un « prezidan pope twèl », comme le fut Edgard Leblanc Fils, il saura certainement imposer la prééminence de la présidence en matière de diplomatie par rapport à une Primature qui, alliée à la Chancellerie, a voulu s’installer dans la logique du « putsch diplomatique ».
En conclusion, bien que les relations entre Haïti et la République dominicaine soient historiquement difficiles, elles ne sont pas condamnées à l’impasse. La diplomatie reste un levier puissant pour surmonter ces tensions et restaurer un climat de paix et de coopération. Pour cela, les deux nations doivent faire preuve de pragmatisme et de bonne volonté. L’exemple de la gestion de la migration montre qu’un cadre de dialogue est non seulement possible, mais nécessaire pour éviter que la situation ne dégénère davantage. C’est par le respect mutuel et le dialogue sincère que ces deux nations pourront trouver une issue honorable à ce nouveau chapitre de leur histoire commune.

 

 


New York, 14 octobre 2024

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