L’éminent écrivain haïtien Franketienne a poussé un grand cri de détresse à l’émission Le Point de Radio Métropole. Un extrait de ses propos où l’auteur de la célèbre pièce « Pèlen Tèt » confie être en grandes difficultés financières « depuis la période du mouvement Peyi lòk » fait ce week-end la Une sur les réseaux sociaux. Le choc! L’opinion publique est consternée de savoir qu’une telle légende des arts et de la littérature haïtienne se retrouve dans une situation aussi précaire.
L’information ne vient pas d’un article d’un journaliste. Si cela avait été le cas, on aurait pu en douter. L’artiste-peintre, l’écrivain, le dramaturge, la « légende vivante » du secteur culturel et intellectuel haïtien, Frankétienne n’arrive plus à subvenir à ses besoins. Il le dit lui-même au micro d’un Wendell Théodore, visiblement secoué. Les propos du père du «spiralisme» sont déchirants. Depuis pratiquement 5 ans, à commencer par la période du fameux « Peyi Lòk », vaste mouvement populaire contre le président Jovenel Moïse, suivie du confinement mondial provoqué par la Covid-19, Frankétienne affirme être dans une situation critique. Sans pension ou retraite, il est à bout de souffle. Il n’arrive plus à nourrir sa famille, en dépit de « plus de 60 ans passés dans l’enseignement », à former pendant 40 ans des générations à travers son ancienne école privée au Bel-Air.
« Franketienne, 87 ans, j’ai enseigné pendant plus de 60 ans, j’étais professeur dans plusieurs lycées. Je peux pas compter le nombre de conférences que j’ai données dans les pays étrangers et en Haïti. Je peux pas compter aussi quand j’avais mon école au Bel-Air, près de 40 ans le nombre d’élèves qui ont été des boursiers et des demi-boursiers chez moi. Je n’ai pas de retraite, je n’ai pas de pension…», lance-t-il, indiquant qu’il vivait de ses voyages culturels aux USA, au Canada et en Europe.
« J’ai été frappé d’abord par la politique stupide, ridicule, débile du Peyi Lòk car nous avons une stérilité dans la pensée politique en Haïti. Il n’y a pas de créateurs politiques en Haïti », assène le peintre, déclarant qu’ « ils ont utilisé de manière perfide, pernicieuse et méchante cette pratique politique stérile qu’on a appelée le pays fermé » et qu’en raison « des barricades partout », il n’a pas pu voyager depuis les années 2017-2018 « malgré les nombreuses invitations reçues » de l’étranger. Période qui allait être suivie du confinement lié à la Covid-19 où tout se faisait par visioconférence, alors que Frankétienne avoue être un « alphanet »: « Je n’ai jamais touché à un clavier d’ordinateur, je n’ai pas de smartphone », pour expliquer comment il a été coupé du monde, donc privé de ses sources de revenus.
Ce cri d’alarme de l’écrivain provoque l’indignation de l’opinion publique, des internautes qui se demandent comment une telle sommité puisse avoir une fin de carrière aussi misérable au point d’être supporté par des personnalités, qu’il qualifie « des anges », sans qui il « aurait crevé de faim ». Reconnaissant, il n’a pas hésité à citer les noms de ses bienfaiteurs: le PDG de E-Power, Daniel Gérald Rouzier, l’ancien premier ministre Jean Henry Ceant et Ronald Saint Jean, directeur de Presses nationales.
Si nous sommes sensibles
à la détresse de Frankétienne et éprouvons même de la colère quant à la place réservée à nos écrivains, nos poètes, nos artistes, bref, nos légendes en Haïti, à leur encadrement par l’Etat via le ministère de la culture, nous ne pouvons approuver la déclaration de l’écrivain selon laquelle le « Peyi Lòk » serait la cause de ses déboires.
Ce mouvement populaire, non sans reproches, lancé initialement en juillet 2018, faut-il le rappeler, de manière spontanée par des membres de la population pour protester contre la gestion du pouvoir par Jovenel Moïse, particulièrement contre le budget ne saurait plonger Frankétienne dans la précarité. Cela ressemble plus à un réflexe individualiste et un positionnement idéologique et politique car à un aucun moment de la durée, l’écrivain n’a évoqué les raisons ou les causes de ce soulèvement. Il n’a fait aucune critique de la gouvernance néfaste du pays par le régime du PHTK: dilapidation des fonds Petrocaribe; affaiblissement de toutes les institutions de l’Etat; tentative de Jovenel Moïse d’instaurer un pouvoir unique ( aucune élection organisée durant son règne, parlement et appareil judiciaire dysfonctionnels…); instrumentalisation de la justice contre certains « oligarques » opposants et protection d’autres oligarques proches du régime; gangstérisation du pays.
On peut toujours questionner l’efficacité et la méthode du mouvement « Peyi Lòk » récupérée par certains acteurs de l’opposition dans leurs propres intérêts. Mais cracher de manière aussi simpliste sur cette colère populaire légitime qui est d’ailleurs une réaction aux mauvaises décisions d’un régime fait preuve de mauvaise foi. Faire croire que les quelques mois de contestation populaire sont à la base de tous les maux actuels du pays est une manœuvre orchestrée sciemment par des secteurs proches du chef de l’Etat assassiné le 7 juillet 2021 par « un commando composé de Colombiens et d’Haïtiano-americains » pour le dédouaner de ses responsabilités de président de la république, garant des bonnes marches des institutions.
Par cette campagne de diabolisation du mouvement « Peyi Lòk », ils veulent à tout prix cacher leur échec en jetant la descente aux enfers du pays sur l’opposition qui n’avait pas en sa possession l’appareillage de l’Etat: finances, justice, police, parlement ( les deux chambres étaient contrôlées par le PHTK).
Malheureusement, Frankétienne en y donnant de l’écho à travers son cri de détresse participe à l’opération de communication visant pernicieusement à blanchir l’ancienne administration. Et cela atténue la force de son appel au secours.
Il n’empêche toutefois qu’il soit entendu et soutenu dans la dignité car il s’agit du géant des lettres haïtiennes, d’un patrimoine national…
La meilleure façon de le faire, c’est de se procurer ses œuvres. Quoiqu’en difficultés financières, Frankétienne n’a pas besoin de charité. Son répertoire artistique et littéraire, seul, peut lui assurer une fin de vie heureuse jusqu’au dernier soupir.
Passons de l’indignation aux actes!
Editorial
Par Gazette Haïti News
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