PAR ADRIEN H. ROMILUS
J’ai lu le nouveau recueil de poésie du diplomate journaliste haïtien Maguet Delva, il ne faut pas se perdre dans des atermoiements sans fin, pour qualifier ce travail ample de plus de 150 poèmes, de quoi faire deux recueils. Il faut dire que l’homme a toujours pratiqué une générosité sans bornes. Ce généreux escogriffe payait régulièrement pour des étudiants sans le sous que nous étions à Paris. Je le revois encore nous demandant avec beaucoup d’humanités comment vivions nous?
Ne boudons pas notre plaisir, les poèmes de Delva sont beaux et dégagent pour la plupart d’entre eux, des sonorités musicales que l’on peut aisément mettre en musique. Port au Prince, notre ville est là avec une description verticale où la sublimation vient à la rescousse d’un reportage chose vue. C’est ce qui fait la force de ce recueil sublimation atemporelle sous fond de réalités sociales dont Delva a du sans doute voir pas mal lorsqu’il exerçait le métier de journaliste reporteur pour l’hebdomadaire Haïti en Marche et bien d’autres journaux de Paris . Ah cet œil aiguisé qui voit tout, qui comptabilise et qui répercute tout avec fracas dans les colonnes des journaux parisiens . Avec ce recueil Delva retrouve Jean Claude Charles un compatriote journaliste poète romancier qu’il aimait passionnément.
c’est un poète engagé qui nous vient de Paris mais qui n’a rien oublié de son terroir artibonitien dont il campe à travers plus d’une dizaine de poèmes des merveilleux a coupé le souffle. Cet enchanteur dont les conversations poétiques ne se perdent pas dans l’écriture, nous présente une poésie simple, faite d’observations d’imaginations et d’engagements. Tout y est,
les crépuscules de l’artibonite nous sont devenus soudain si familiers avec leurs bruits,leurs fureurs, leurs douceurs de vivre. Delva nous transporte sur les rives de l’immense fleuve dont il contemplait enfant; les allées et venues des pélicans aux longues jambes qui se dehambulaient en procession nuptiale.
Des souvenirs qui au fil des ans forment des noeuds qui font jaillir un matin des métaphores tantôt sous forme allégoriques tantôt romantiques avec l’évocation des paysages somptueux. L’évocation de ces pélicans qui baladent sur le fleuve trempée de douceurs matinales est sans doute l’un des plus beaux poèmes du recueil et le poète Delva se rappelle de tout quelle mémoire .
« Douce nuit d’été à la belle étoile des floraisons
Des digues endimanchées d’eucalyptus à foison
Courbent sur le poids du vent
En ce temps-là,
l’Artibonite projetait sa lumière crue
Jusqu'au tréfonds de sédiments qui se déversaient
A profusion dans les mangroves
Par moments j'aimais la traverser
Avec des pantalons neufs Attendrissements et frémissements assurés
Sur les allers et retours des vagues
Elles m'enveloppèrent dans leurs grandes carapaces »
l’auteur fend, adoucit nos tympans avec des métaphores descriptives somptueuses bienveillantes qu’il s’agisse de l’artibonite ou encore
Il possède un œil topographique qui coupe les métaphores en rondelles pour mieux les sublimer et faire une poésie avec des belles métaphores qui brillent. Cette description de Port au- Prince vaut son pesant d’or, dans le recueil, charriant tout comme une embouchure de l’artibonite en furie cher au poète. Ici les métaphores côtoient des anaphores pour accentuer la laideur en même temps pour une description métaphorique formant à lui seul un poème
« Port au Prince s’est endormie dans mes bras
comme une vieille dame »
Tout est dit comme le journaliste dans un reportage il résume tout d’une phrase on n’a pas besoin d’ aller plus loin. Chaque poème est un bref récit enrobé de sublimations qui est la marque même du poète qui fabrique ses métaphores en rafales tout en braquant ses projecteurs sur notre conscience mal fabriquée. Et quand c’est dans Paris que le poète promène ses spleens ça donne ça. Cet œil qui voit ce que le commun des mortels ne voit pas. C’est éblouissant de décrire les laissés pour compte de notre société avec tant d’humanités il faut dire que Delva en avait toujours à revendre
« Ce matin notre regard a abandonné ces rives
Pour de vaines rétrospectives sirupeuses
Il a croisé tant d’hommes et de femmes
Déchiquetés par la vie
Qui traînent leurs ennuis aux bouches des métros
Pourtant nous avons pressé le pas, comme hier
Avez-vous vu les déchéances humaines qui galopent
Et se morfondent dans les lumières de la pénombre ? Et l’aurore s’est obscurcie »
Paris ensanglanté et vient d’être frappé par des mains terroristes le poète les charge avec humanité tant et si bien, il nous entraîne dans l’atmosphère de l’après l’hécatombe un voyage au cœur d’une ville meurtrie
« Paris debout
Paris altier
Paris magnanime
Paris plus que jamais cosmopolite
Paris, nous revoilà dans tes rues chargées de violettes
Que des barbares viennent ensanglanter
Pourtant les Parisiennes sont toujours là
Avec de parfaites toilettes
Circulant dans les rues avec parcimonie »
L’histoire celle de notre pays, les relations internationales dont il a étudie les contours à l’académie diplomatique internationale de paris mais surtout le journaliste qui transforme ses papiers en métaphores grandioses faute de pouvoir les publier réserves diplomatiques oblige ne sont pas dénués de sens, de quête poétique sous fond d’engagement car pas d’écriture sans engagement. Trois poèmes donnent magistralement le ton « Mes frères en République dominicaine »
Il s’appelait Tulile
La solitude des Frontaliers »
On ne peux mieux faire dans ce registre c’est une défense avec une veine de patriotisme invétéré qui prend la Défense de ses compatriotes
« Tristes exilés en leur pays sans mémoires
Incandescent brasier du racisme pathétique
Consumant l'horizon de nos soleils couchants
Désormais, le sang de nos frères obstrue les routes
Sous leurs pas feutrés
d'amertume
Des braillards crient vengeance de l’exode des nôtres
Soumis aux mitrailles imbéciles »
L’actualité est omniprésente ou lointaine le poète a pris notes et campe ses chagrins dans ses anagrammes. Son pays est là sous toutes les coutures, comme ce magnifique poème aux relents d’une tristesse palpable comme des plaies purulentes sur nos blessures de peuple.
« Voici mon pays à la gorge nouée
Dont le cœur est au chagrin comme un enfant muet
Les grisailles permanentes au-dessus de lui
Sont pénétrantes
Comme le soleil absorbant l’aurore
Le crépuscule a englouti le jour
Il s'endort comme à l'accoutumée
Sur une mer démontée en s’agitant
S'excusant même de ses vitupérations sans fin. »
Plus de 150 poèmes forment des faisceaux poétiques majeurs. Maguet Delva est habillé de ses plus beaux habits poétiques pour nous foudroyer d’un seul coup de toutes ses tendresses, ses préoccupations de citoyens, que ce soit à Paris, Port au Prince ou encore Petite Rivière de l’artibonite, les vers du poète Maguet Delva ne manqueront pas de plaire aux lecteurs soucieux de découvrir un homme qui s’implante là où l’on ne l’attendait pas.
LES PALAIS DU CHAGRIN
DE MAGUET DELVA
AUX ÉDITIONS ASTRINOBES,
7 rue des Grives 95160 Montmorency Tel : 01 34 17 63 18 astrinobes@gmail.com
PARIS, 2018.