Ces dernières années, un grand nombre d'Haïtiens quittent leur terre d'origine pour trouver refuge dans des pays, tels que le Chili, le Brésil, les États-Unis et la République Dominicaine. Poussés par la précarité, l'insécurité et l'instabilité politique, ces migrants sont confrontés à de multiples risques lors de leur périple, notamment l'exploitation par les passeurs, les discriminations et des conditions de vie précaires dans les nations d'accueil.
Dans le contexte actuel où les ressortissants haïtiens se font pourchasser par les autorités dominicaines, ce dossier tentera de donner un éclairage sur les causes profondes de ce phénomène migratoire qui exige une réponse sérieuse de l’Etat par la prise de mesures internes et diplomatiques.
Origines de la migration haïtienne
Les tensions politiques en Haïti étaient déjà exacerbées avant l'assassinat de Jovenel Moïse en 2021. Au cours de son mandat, on a observé une augmentation de la violence des gangs, en particulier avec l'émergence de la coalition G9 Familles et Alliés, ce qui a exacerbé le climat d'insécurité dans le pays. D'après Human Rights Watch, l'augmentation de l'activité criminelle des gangs dans les zones défavorisées a engendré un climat de peur, incitant de nombreux ressortissants haïtiens à chercher refuge ailleurs (Human Rights Watch, 2022).
Outre l'insécurité, la situation économique précaire en Haïti, marquée par un taux de chômage élevé et une accessibilité restreinte aux services essentiels, contraint de nombreux Haïtiens à rechercher des perspectives à l'étranger. Selon l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), l'instabilité politique et la pauvreté constituent des éléments déterminants expliquant ce flux migratoire important (OIM, 2023).
Le périple risqué : De Haïti au Chili, au Brésil, aux États-Unis, au Canada…
a. Le déplacement en direction du Chili
Depuis le séisme de 2010, le Chili est devenu une destination prisée pour les migrants en provenance d'Haïti. Toutefois, le périple pour atteindre cet objectif est à la fois long et périlleux. Pour se rendre au Chili depuis Haïti, les migrants doivent traverser successivement plusieurs pays: la République dominicaine, la Colombie, le Panama, l'Équateur et le Pérou. Les ressortissants haïtiens sont fréquemment ciblés par des individus qui les exploitent en leur garantissant un voyage sécurisé, pour ensuite les abandonner en cours de route ou les contraindre à travailler dans de mauvaises conditions.
Au Chili, l'essor de la xénophobie conjugué à la crise économique a considérablement compliqué l'existence des migrants haïtiens. Ils sont confrontés à des discriminations sur le marché de l'emploi ainsi qu'à des obstacles dans leur intégration sociale. Le Migration Policy Institute relève que le Chili et le Brésil ont renforcé leurs politiques migratoires afin de restreindre l'arrivée des migrants haïtiens (Migration Policy Institute, 2023).
b. Vers le Brésil
Le Brésil représente une destination importante pour les Haïtiens, notamment suite à des événements, tels que la Coupe du Monde de 2014 et les Jeux Olympiques de 2016, qui ont suscité l'intérêt de travailleurs étrangers. Les ressortissants haïtiens désireux de se rendre au Brésil doivent également traverser plusieurs nations, telles que la Colombie, l'Équateur et le Pérou. Ils sont également exposés à des abus de la part de passeurs ou de groupes criminels qui les exploitent et les dépouillent de leurs économies (Human Rights Watch, 2022).
C. En direction des États-Unis et du Canada
Les États-Unis demeurent une destination de choix pour de nombreux migrants haïtiens, en dépit des risques et des défis rencontrés. Pour atteindre cet objectif, ils doivent traverser au minimum huit pays : le Chili ou le Brésil, le Pérou, l'Équateur, la Colombie, le Panama, le Costa Rica, le Nicaragua, le Honduras, et enfin le Mexique. Le trajet présente des dangers notables, en particulier lorsqu'il traverse le Darién Gap, une dense forêt tropicale localisée entre la Colombie et le Panama.
La traversée du Darién Gap représente un défi de taille, où les migrants mettent en péril leur vie pour atteindre ce qu'ils considèrent comme une terre bénie « Eldorado ». Toutefois, un grand nombre d'entre eux ne parviennent pas à survivre à cette traversée dangereuse. Selon le rapport d'Amnesty International de 2021, un grand nombre de migrants haïtiens sont sujets à des agressions sexuelles, des homicides et des vols dans cette zone à haut risque. L'un des défis les plus redoutés de ce périple réside dans la traversée du Darién Gap, fréquemment désignée comme l'une des régions les plus périlleuses au monde pour les migrants. D'après le rapport de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), un nombre important d'individus prennent le risque de mettre leur vie en péril en traversant cette forêt dense habitée par des criminels, des groupes armés et des animaux sauvages (OIM, 2023). Cette traversée évoque les épreuves bibliques des Hébreux traversant le désert, où chaque étape représente un défi de survie, une lutte pour parvenir à un refuge.
Les maltraitances endurées par les migrants haïtiens.
Tout au long de leur périple, les migrants haïtiens sont confrontés à de nombreuses formes d'abus. Les passeurs, communément désignés sous le nom de "coyotes", profitent de la vulnérabilité des migrants en exigeant des montants conséquents pour des traversées périlleuses. D'après l'organisation Human Rights Watch, beaucoup de ressortissants haïtiens sont victimes de violences physiques et sexuelles lors de leur voyage, notamment dans des nations de transit telles que la Colombie et le Mexique (Human Rights Watch, 2022).
Les migrants haïtiens qui se rendent dans les pays d'accueil, tels que la République dominicaine, le Chili ou les États-Unis, font fréquemment face à des discriminations systématiques. En République Dominicaine, les autorités mènent fréquemment des opérations de contrôle et d'expulsion des migrants haïtiens, souvent ne respectant pas les conventions internationales en vigueur. Le Global Detention Project met en évidence la précarité des conditions de détention des migrants haïtiens dans ce pays, caractérisée par des lacunes en matière d'accès aux soins de santé et d'hygiène (Global Detention Project, 2022).
La République dominicaine a récemment augmenté ses opérations visant à expulser les migrants haïtiens avec un plan de déportations de 10 000 Haïtiens chaque semaine d’ici à 2024. Sous la présidence de Luis Abinader, la campagne de déportation de masse cible des populations vulnérables, y compris des femmes enceintes et des enfants. Malgré les condamnations et dénonciations du gouvernement haïtien et des groupes de défense des droits de l’homme, les autorités dominicaines continuent les « scènes brutales de rafles et de déportations de migrants haïtiens », pour répéter la ministre des affaires étrangères Dominique Dupuy.
La Ministre a dénoncé cette politique, la qualifiant de « discriminatoire »et « regrettable ». Elle a appelé au respect des traités internationaux et des droits fondamentaux des migrants.
Pour faire à ces opérations de déportations, le gouvernement haïtien annonce avoir multiplié ses actions diplomatiques et consulaires en République dominicaine pour fournir de l'assistance aux migrants expulsés et établir une stratégie d'accompagnement avec des organisations de la société civile et des agences internationales .
Quant au Chili et au Brésil, ces pays ont renforcé leur législation sur l'immigration en réaction à l'important flux de migrants en provenance d'Haïti. Le Migration Policy Institute signale que les deux nations ont restreint les critères d'admission pour les nouveaux migrants, ce qui complique l'intégration des Haïtiens (Migration Policy Institute, 2023).
Les États-Unis et le Canada
En dépit de la gravité de la situation en Haïti, les États-Unis persistent dans la mise en œuvre d'expulsions massives de migrants haïtiens. En l'année 2021, un grand nombre de ressortissants haïtiens ont été rapatriés vers Haïti suite à leur tentative de franchir la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Amnesty International a critiqué ces politiques comme étant cruelles et inhumaines, car elles renvoient des migrants vulnérables dans un pays caractérisé par la violence et la pauvreté (Amnesty International, 2021).
La crise des réfugiés haïtiens constitue une tragédie humanitaire de grande ampleur. Alors que de nombreux individus cherchent à échapper à la violence, à la pauvreté et à l'instabilité en Haïti, leur périple vers des destinations, telles que le Chili, le Brésil, les États-Unis et la République dominicaine est jalonné de multiples risques et de discriminations. Pourtant, au lieu de trouver refuge et sécurité, ces migrants se heurtent souvent à des politiques migratoires de plus en plus restrictives, des expulsions massives et des abus, notamment en République Dominicaine, où l'on assiste actuellement à une campagne agressive d'expulsion de 10 000 Haïtiens par semaine.
Il est impératif que la communauté internationale exige aux nations hôtes le respect des conventions internationales qui garantissent la protection de ces migrants.
Au-delà des réponses immédiates à cette crise, il est important de s’attaquer aux causes profondes de cette migration forcée.
Le gouvernement haïtien doit assumer son rôle dans la restauration de la sécurité dans le pays. Cela nécessite de freiner la montée en puissance des gangs, de combattre la corruption omniprésente et de promouvoir des politiques sociales efficaces pour améliorer les conditions de vie de la population. Si le gouvernement haïtien peut créer un environnement sécurisé pour ses citoyens et offrir des opportunités économiques et sociales pour ses citoyens, il n’y aura plus de désir désespéré pour les Haïtiens de fuir vers l’extérieur.
Un soutien plus significatif de la communauté internationale s’avère nécessaire afin d’aider le pays à lutter contre l’insécurité croissante, combattre la pauvreté, et renforcer les mécanismes de contrôle de la corruption.
Seule une Haïti sécurisée et stable politiquement pourra attirer des investissements étrangers en vue de la création massive d’emplois car une population livrée aux violences de gangs armés et en proie au chômage n’a qu’une issue: la migration.
Par, Sabrina Lemaire
Sources :
1. Human Rights Watch, We Are Dominicans: Arbitrary Deprivation of Nationality in the Dominican Republic.
2. Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), OIM Haïti et République Dominicaine.
3. Migration Policy Institute, Challenges and Opportunities in Haitian Migration.
4. International Organization for Migration, IOM Darien Gap Report.
5. Amnesty International, Cruelty on Full Display as Haitian Refugees Flogged at US-Mexico Border.
6. Pew Research Center, Key Facts About Haitian Immigrants in the U.S..
7. Global Detention Project, Haitian Migrants in Detention.
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