PubGazetteHaiti202005

Les actes controversés du Commissaire Muscadin : Entre conformité à la loi et légitimité

Le commissaire Jean ernest Muscadin

Transféré du parquet des Coteaux au Parquet de Miragoâne à titre de Commissaire du Gouvernement ad interim au début de l’année 2020 sous la présidence de Jovenel Moïse dans un contexte politique fragile de « pays lock » en cascade. Et Miragoâne, particulièrement des localités telles que Chalon, Gros Trou, Anba Fò et d’autres encore sont réputés terrains minés pour les autorités judiciaires, policières et politiques qui l’ont précédé. Il est à souligner que Jean Ernest Muscadin eut à connaitre un début difficile au niveau de la juridiction de Miragoâne avec l’avènement soudain d’un mouvement de protestation « éphémère » de quelques avocats du Barreau de Miragoâne. Peu de temps après, le calme est revenu, l’eau continue de couler sous les ponts. Les positions changent assez vite chez nous quelquefois.

Un autre point important à signaler, c’est son discours le jour de sa prestation de serment, viral sur les réseaux sociaux. Un discours, peut-on le dire, qui a été ridiculisé. Mais au fond, dans cette même intervention, il a clairement dit que le but de son transfert à Miragoâne « est de traquer les bandits et les vagabonds » généralement quelconque,  et le cas échéant, les mettre hors d’état de nuire.  En somme, il n’a jamais été un jour inaperçu dans ses œuvres, jamais.

Chose dite, chose faite ! Il a défini ses propres méthodes de « poursuite » avec des moyens dont lui seul a le secret pour pacifier les zones qui étaient réputées rouges de sa juridiction, particulièrement Chalon, route nationale no. 2, première section communale de Miragoâne. Ce qui demeure évident voire incontestable, un calme jamais connu depuis plus de vingt ans est apparu dans les deux juridictions (judiciaires) du département des Nippes et il a empêché les bandits d’y établir leurs tentacules. Maintenant, comment cela est-il arrivé ?

«  Le Commissaire du Gouvernement est un militaire en civil », c’est le message d’accueil affiché en grandes lettres à la porte principale de son bureau, afin que nul n’en ignore. Selon lui, cette parole serait de Napoléon Bonaparte.  Etant toujours en état d’alerte, il ne rate jamais l‘occasion de s’illustrer comme un véritable militaire en civil.

Comme je le propose dans mon prochain livre, dans la perspective d’un nouveau paradigme juridico-politique, il faut penser à créer différents pôles dans les parquets de la république avec des spécialités distinctes dans le domaine du droit. Ainsi, pour ce qui concerne ce fougueux commissaire, il pourrait être engagé pour travailler avec la police judiciaire notamment avec la brigade anti-criminalité, puis  la justice à ce moment doit être à même de pouvoir juger et condamner les coupables par des procès équitables. Nous ne sommes pas encore là malheureusement. Entre temps, il faut rétablir l’ordre, assurer la sécurité des vies et des biens tout en permettant aux paisibles citoyens de vivre dans la dignité: vaquer à leurs occupations, sortir en famille, s’amuser, enfin jouir de leur liberté de déplacement volontaire, etc. c’est ce que montre le Commissaire Muscadin à l’endroit de la population des Nippes et ses environs dans sa lutte acharnée engagée de son propre chef contre les « petits bandits » sans foi ni loi qui sèment la terreur.

Je ne cherche pas à justifier les actes du Commissaire de Gouvernement de Miragoâne et je ne cherche pas à l’exposer à la réprobation non plus. Est-ce qu’en cela, on doit me prêter des intentions abstentionnistes ou de neutralité ? Loin de là. Et comme il est écrit dans la bible : « quand les fondements sont renversés, le juste que ferait-il ? ». Que reste-il de notre système judiciaire ? L’ordre juridique haïtien n’est-il pas confronté à une inefficacité récurrente en matière de répression à exercer par les autorités de la chaine pénale? Le phénomène Muscadin me paraît révélateur dans la mesure où il nous met sur la piste d’une nouvelle expérimentation des limites de la « répression légale » en vigueur en Haïti dans un cadre spatio-temporel.

il est connu de tout le monde que les gangsters qui égorgent et ruinent le peuple haïtien à travers des actes barbares opérés dans des foyers  de criminalité le font en toute quiétude, et bénéficient de la protection « de certains dignitaires de l’Etat », parce que la politique pénale de l’Etat haïtien se montre jusqu’ici inadaptée, inappropriée et enfin inefficace pour les réprimer. La société est appelée à faire un choix : se laisser faire en permanence en jouant la victime par respect pour des lois inefficaces et des institutions inutiles ou réagir suivant l’instant de conservation (naturellement - c’est du déjà là).

Ce qu’on ne peut point ignorer, c’est que le nombre de victimes dans le camp du peuple haïtien demeure inconnu tellement c’est important.  Donc, il devient un fait que nous autres en tant membres du corps social, nous sommes quotidiennement en proie à l’insécurité et aux confits armés des gangs, et même les représentants « de la puissance publique » en font les frais parfois. Immanquablement, le débat nous conduira, pas sans controverse, sur les notions du droit international humanitaire et  droit des conflits armés (droit de la guerre) mentionnées ici comme une référence appropriée. Il peut s’agir de conflits armés internationaux ou de conflits armés non-internationaux ; le  « jus ad Bellum : droit de faire la guerre, le droit de recourir à la force dès lors qu’elle peut être justifiée par la légitime défense en vertu de la charte des Nations Unies. Dans la foulée, le respect d’un certain nombre de droits demeurent garantis, d’où le « jus in bello » : le droit dans la guerre. Peu importe la justesse de la cause défendue ainsi que les motifs du conflit.

 La réplique mortelle du Commissaire Muscadin contre le nommé « Zo Pwason » suscite de grands débats et des prises de positions entre de dévoués contradicteurs dont les uns sont moins tolérants que les autres. Et là encore, cet événement offre l’opportunité de le considérer via une double grille analytique : d’une part, en faisant très certainement une remise en question de ce que l’on appelle ici à tort ou à raison l’Etat de droit ;  et d’autre part, mesurer ce qui est arrivé au prisme de « l’épistémologie juridique ».

Tant par l’immédiateté des résultats que par leur stabilité dans le temps, il est évident que neuf Haïtiens sur dix, où qu’ils soient, affichent ouvertement leur support au Commissaire Muscadin, bien que ce dernier n’agisse pas toujours selon les « dispositions strictes et lacunaires » du code pénal et du code d’instruction criminelle lorsqu’il s’agit de stopper les bandits et les mettre définitivement hors d’état de nuire. La majorité du peuple ne cherche pas savoir s’il travaille pour des politiques, ni de qui il reçoit des ordres pour agir ainsi, ou s’il agit de son propre gré pour accéder à ces résultats remarquables. Bien que les préoccupations exprimées par certains citoyens et organismes de défense des droits humains ne soient pas du tout insensées, mais dans tout ça il faut épargner le débat de tout amalgame et de sentiment de méchanceté.  

La population du Grand Sud se contente du fait que ce Commissaire, agissant sous le couvert de la légitime défense (par des répliques proportionnées à l’attaque) en ce sens qu’il assure leur propre défense face aux menaces imminentes des bandits, tout en s’octroyant quelques mécanismes du droit de « poursuite à chaud » un peu à l’américaine afin de faire du département  des Nippes un « cimetière pour les bandits ». En l’espèce, n’a t-il pas raison trop tôt du fait de ne pas limiter la répression dans la littéralité du droit positif haïtien ? Ou encore s’approprie t-il la pensée wébérienne selon laquelle L’Etat détient « le monopole de la violence physique légitime » ?

La nation se meurt à petit feu à cause de l’impunité des uns et des autres, et pour leur part, les institutions étatiques se trouvent déjà en pleine dégénérescence jusqu'à leur  effondrement total. Personne n’est responsable de quoi que soit. Ah oui, responsabilité ! Voilà le vrai problème haïtien : Nou toujou pa konn ki moun ki touye Lanperè, pa vre ? Hypocrisie de toute une société. Silence complice des soi-disant élites. Déni et omission des autorités politiques et administratives. Impunité offerte par la justice. Acquittement vendu aux plus offrants.

En toute objectivité, il faut admettre que Commissaire Muscadin fait montre, quelques fois, de sérieuses lacunes en droit positif haïtien qui le rend  un peu « naïf» sur nombre de sujets ; cela s’illustre surtout dans des circonstances particulièrement délicates, par exemple lorsqu’il s’agit d’apprécier en substance les subtilités juridiques des faits qui réclament une technicité dans l’orientation de la position du Parquet dans certains dossiers de grande importance, et certains avocats et même des justiciables en profitent assez bien pour influencer parfois des décisions qualifiées inadéquates au regard de la loi. Et cela peut être préjudiciable à quiconque, mais vraiment je persiste à croire qu’il n’est pas de mauvaise foi. Car, généralement il fait preuve de loyauté envers les professionnels du droit et envers les justiciables de sa juridiction. Pendant qu’il travaille, selon toute évidence, dans des conditions difficiles : le véhicule Nissan Patrol mis à sa disposition est en mauvais état, parfois en panne en pleine opération ou pendant qu’il est en route pour une opération d’envergure.

En guise de rejet et/ou d’assassinat de caractère, bien qu’il puisse éventuellement faire l’objet d’un blâme sur le plan administratif, sans être ni transféré ni révoqué, mais le mettre en situation de produire des rapports circonstanciés à qui de droit afin de réduire de manière considérable le risque d’arbitraire qui pourrait éventuellement entraver son travail. Il me semble plutôt que si le fameux Commissaire du Gouvernement de Miragoâne, Jean Ernest Muscadin trouve l’encadrement nécessaire, les conseils et le coaching adéquats, il pourra faire mieux, en conséquence sa contribution citoyenne pourra être d’une utilité dont on ne pourra se passer. Car son sens d’engagement pour la cause de la collectivité s’avère déjà nécessaire  dans la lutte contre l’insécurité dans les Nippes.

 

 

Me. Rodrice Durocher
Avocat au Barreau de Miragoâne
9 juin 2022

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