PubGazetteHaiti202005

MUR MEDITERRANNEE »  DE LOUIS PHILIPPE DALEMBERT EDITEUR : SABINE WESPIESER, 2019  Un roman pour crier au monde, la détresse des migrants. 

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Port-au-Prince, le Samedi 14 Septembre 2019

(www.gazettehaiti.com)

  • Deuxieme partie

TROIS FEMMES AU COURAGE EXCEPTIONNEL

Prenons le cas de Chochana, dans son pays le Nigeria, enfant choyée de sa communauté Ibo, elle était destinée à devenir avocate. Victime du réchauffement climatique, elle a été contrainte à l’exil, fuyant la sécheresse qui a anéanti le sol, appauvrissant la ferme familiale :

 « Il fut un temps, avant cette période sombre, où l’on mettait une graine en terre, et elle poussait toute seule. On n’avait besoin de rien faire d’autre. Parfois, il suffisait de jeter de l’eau usée avec des graines de tomate dedans, quelques semaines plus tard, on avait de belles plantes autour de la maison. La pluie tombait du ciel en abondance, pareille à la manne que Hachem envoya pour assouvir quarante ans durant la faim des hébreux dans le désert. On avait des récoltes à foison pour nourrir les familles une saison et du surplus à exporter vers les grandes villes. Souvent il pleuvait plus qu’à profusion. L’eau recueillie venait grossir les réserves pour les champs et les animaux. »  

Semhar l’Érythréenne voulait quant à elle devenir institutrice, enrôlée presque de force dans l'armée, elle fit un service militaire prolongé. Dalembert en évoquant le destin de ces femmes en profite pour nous instruire sur la question géopolitique du continent Africain, retraçant le profil psychologique de ces personnages qui refusent de subir les effets de la mondialisation dans leur pays et qui paradoxalement risquent ses étreintes si d'aventure ils arrivaient à destination, c' est à dire en Europe :

« Le rêve de Semhar, originaire de Massaoua, la quatrième ville du pays, où elle était née et avait grandi au sein d’une famille soudée, était de devenir institutrice quand elle partit pour Sawa. Elle voulait enseigner aux enfants, aux filles en particulier. Leur dessiller les yeux sur la beauté du monde qu’elle-même ne connaissait qu’à travers les livres, la télévision, Internet, lorsqu’on y avait accès. Et les bateaux qu’elle voyait entrer et sortir du port de Massaou, lourds de ses songes d’ailleurs, qu’une enfance passée sur les bords de la mer rouge avait contribué à nourrir de chimères de traversées des flots à pied sec. »

Passant d'un problème à un autre, Dalembert parcourt les champs de guerre, d'interminables chaos absolus. Avec son humour corrosif, il nous fait visiter la nouvelle Syrie avec ses villes défigurées par d'énormes plaies béantes.  Cette description correspond par exemple à Alep, ville martyre qui a connu son premier attentat et rentrait dans un cycle sans fin de violences sous fond d'un remake de la guerre froide. L'auteur exhibe à cet effet les causes des départs de telle manière que le lecteur arrive à comprendre qu'il s'agit bien de guerres de procuration, de réchauffement climatique, des enjeux géostratégiques pour le contrôle des richesses. Il démontre avec certitude que les migrants sont souvent les victimes collatérales des guerres de procuration que se livrent les puissances occidentales en quête de leadership mondial. Enfin, arrive le Jour J, le jour du grand départ, tout le monde est gagné par la fébrilité, il faut emprunter les rafiots pour atteindre son objectif, les côtes européennes afin de concrétiser ses rêves, celui de l'Eldorado :

« Dima, son mari Hakim et leurs deux filles furent parmi les premiers à s’installer à Bord. Leur contact les avait prévenus la veille que le grand départ serait pour le lendemain. « Cette fois, c’est sur ? Pas d’entourloupe ? avait interrogé Dima —— sur le Coran de la Mecque, avait répondu le gars, confiant » on était le 16 juillet 2014. Cela faisait un mois qu’ils attendaient. Les filles n’avaient pas arrêté de lui demander quand est-ce qu’ils partaient en Europe sans que Dima puisse leur apporter une réponse convaincante. Elle avait épuisé toutes les explications crédibles au point de s’en remettre à des formules comme : « Dans deux jours, Inch’Allah, roubi. »

En espérant que, d’ici là, elles auraient oublié. Un jour son aîné Hana, excédée, lui dit visiblement Allah, voulait que la famille reste confinée dans cet hôtel., à dormir à quatre dans la même chambre ; elle, sans ses copines, partageant un lit avec sa cadette Shayna , alors qu’à la maison chacune avait la sienne. « Arrête de blasphémer ! avait crié Dima. Que je ne t’y reprenne plus. Sinon, gare à tes fesses. »


LE DESTIN DES MIGRANTS


La plus surexcitée des trois femmes est sans doute Dima la Syrienne qui a attendu ce jour sans trop plus y croire, tant elle s'était fait avoir par les passeurs et autres intermédiaires. Le roman revient longuement sur le rôle des uns et des autres, notamment sur celui des passeurs, ces hommes qui ont perdu toute compassion pour l’espèce humaine au point de se demander s'ils n’auraient pas troqué leur cerveau pour une calculatrice, tant leur cupidité conjuguée à leur cruauté est sans pareille. Ils savent tirer profit de la Méditerranée. Dalembert s’est largement inspiré de l'actualité pour pondre ce chef d'œuvre, ce qui s’explique facilement, en effet le drame des migrants de la Méditerranée lui revient au visage, lui colle à la peau, et hante son esprit comme ceux vécus par ses compatriotes qui tentaient la traversée de l'Atlantique pour les côtes américaines; d'où ce vibrant plaidoyer en faveur de tous ces malheureux qui se lancent dans cette traversée suicidaire.
Bref le roman de Louis Philippe Dalembert est un cri du cœur, une invitation à une réelle prise de conscience des politiques européennes par rapport à la tragédie méditerranéenne qui, tous les jours ne cesse de prendre de l’ampleur. Le temps est venu pour les gouvernements occidentaux de retrouver un peu d'humanité, de rompre avec ces discours lassants afin que des milliers de Chochana, de Semhar et Dima puissent espérer une vie meilleure.

Mer Méditerranée est un livre facile à lire, il décrit des faits, des situations similaires à la réalité de certains de nos proches, ceux et celles-là qui ont choisi l’exil volontaire en larguant les amarres. 

Je vous le conseille vivement, question de prévention.

Maguet DELVA 

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