PubGazetteHaiti202005

Editorial: Joseph Jouthe, le sapeur-pompier du pouvoir

Joseph Jouthe, Premier ministre


Joseph Jouthe est le 4ème premier ministre de Jovenel Moise en 3 ans d’exercice du pouvoir. Pour commencer son quinquennat, le chef de l'état avait surpris tout le monde en choisissant comme premier ministre un médecin, Jacques Guy Lafontant, un inconnu du milieu socio-politique, qu'on avait pas remarqué d'ailleurs à ses côtés durant la campagne électorale.

Ce dernier, qui a vite compris sa fragilité pour avoir été propulsé par Michel Martelly allait se comporter comme un véritable docile, faisant les 4 volontés du chef de l’état. C’est en raison de ce comportement qu'Haïti a connu le premier « Pays Lock » pour n’avoir pas su dissuader Jovenel Moise d'augmenter exagérément les prix des produits pétroliers. Face à la furie populaire et pour sauver sa peau, le président a dû le limoger via sa majorité à la chambre des Députés dirigée par Gary Bodeau. 

Ensuite, Jovenel Moise a connu Jean Henry Céant avec lequel il entretenait une relation tumultueuse jusqu'à l'accuser de vouloir le faire tomber pour prendre sa place. Les tensions étaient si grandes que six mois plus tard, il a utilisé sa majorité encore à la chambre des Députés pour l'évacuer avec fracas. 
Devenu totalement méfiant, le président Jovenel Moise, allait par la suite nommer un des membres du gouvernement sortant, Jean Michel Lapin comme premier ministre intérimaire, en dépit du fait qu'il prétendait former avec l'opposition un gouvernement de consensus. Avec Lapin, il allait trouver sa paix d'esprit. Il a trouvé l'homme qu'il lui fallait après avoir passé six mois sans sommeil, puisqu'il devait surveiller le notaire dont les relations avec l'opposition et tous les pans de la société avaient fait peur au président. Comme le Dr Jacques Guy Lafontant, le vieux routier de l’administration publique correspondait parfaitement au profil du chef du gouvernement qui plaît à Jovenel Moïse. Les aléas politiques ont contraint le président de se séparer de Lapin. Sinon ce dernier serait encore premier ministre car, comme Jacques Guy Lafontant, il ne le dérangeait en rien, estime-t-on.

Après s'être obligé de renvoyer Jean Michel Lapin qui n'a jamais pu être ratifié au parlement en raison d'une opposion coriace au Sénat, Jovenel Moise a une nouvelle fois surpris tout le monde en choisissant Joseph Jouthe, ex ministre de l'environnement et des finances du gouvernement Lapin comme premier ministre. Joseph Jouthe n'a aucune base politique, n'est pas du PHTK, n'est pas l'ami du président, mais il a été choisi.

Après s'être attiré des foudres pour avoir affirmé qu'il n'exécuterait que les décisions du chef de l'état même s'il avait ses propres idées, Joseph Jouthe étonne plus d'un en imprimant sa marque comme chef de gouvernement. Il n’a pas l’air si docile que l’on aurait pu imaginer. Il est rapporté qu'il ose dire la vérité au président. Son point fort, contrairement à d’autres, il n'aurait pas peur de perdre le job comme il l'avait dit publiquement, analysent des observateurs.

Baptisé « l’homme sans filtre » à cause de ses prises de positions sans langue de bois sur des sujets parfois sensibles, le natif de Thomonde est arrivé malgré son fort caractère qui par endroit frise l'arrogance à avoir la confiance du président et s'est transformé de surcroit en un véritable sapeur-pompier du pouvoir. 

En moins de 6 mois, Joseph Jouthe prenant le devant de la scène pour jouer son rôle de chef du gouvernement donc de l'administration publique est arrivé à éteindre aux moins 5 foyers d'incendies allumés par son propre pouvoir. Les tenants de ce pouvoir seraient-ils des pompiers pyromanes?

Le premier foyer d'incendie que le sapeur-pompier est parvenu à neutraliser est la question du syndicat de la police dont l'existence a été contestée par le pouvoir. Si dans un premier temps Joseph Jouthe était de ceux qui pensaient pouvoir bloquer cette démarche des policiers reconnue par la constitution, il allait vite réévaluer la situation face aux menaces que représentait le Groupe Phantoms 509 et reconnaitre le droit des policiers de se syndiquer via un arrêté. Un revirement spectaculaire. Cinq (5 ) policiers révoqués dans le cadre de cette bataille ont été du coup réintégrés. Avec cette décision, Jouthe a démobilisé ce groupe de policiers rebelles qui ont saccagé plusieurs institutitions publiques et qui menaçaient de se joindre à l'opposition de renverser le gouvernement.

La crise à l'EDH provoquée par la nomination par Jovenel Moise de Michel Présumé à la tête de cette institution, a été un autre test pour Joseph Jouthe qui a pris sur lui-même la responsabilité d'affronter le Syndicat. Alors qu'on le croyait impossible à réaliser, il a résussi grâce à son style direct à séduire les membres du syndicat les plus radicaux. Après que le ministre des TPTC eut déployé des unités spécialisées à l'EDH et prendre le contrôle de l'espace pour ensuite exiger que des syndicalistes soient arrêtés, Jouthe y est descendu et a décidé de surseoir aux mandats, priorisant la voie du dialogue. Après d'intenses négociations, Michel Présumé a fini par être installé et continue à remplir sa fonction sans difficultés.

Le Chef du gouvernement ne s'est pas arrêté là. Dans la crise mettant aux prises l'ex ministre de la justice Lucmane Délile et l'Office de Protection du Citoyen. Conscient des dégâts que pourraient causer les attaques de son ministre contre le Protecteur du Citoyen, il s'est rendu à son bureau comme pour montrer sa désaprobation. A l'OPC même, il annonce la fin de mission de Lucmane Délile dans une métaphore propre à lui. La bombe qu’aurait pu constituer ce conflit est désamorcé.

Pour apaiser les tensions et éviter une crise Joseph Jouthe ne lésine pas pas sur les moyens. Il est prêt à tout, quitte à donner l'impression de perdre la face. On se souvient de ses déclarations fracassantes, jugées humiliantes contre le DG de la PNH sur lesquelles, il est rapidement revenu pour calmer le jeu. 

Tandis que le président Jovenel Moise et son ministre s'en sont vertement pris aux juges de la Cour des Comptes qu'ils ont accusés publiquement de tous les maux du monde dont le blocage des projets du gouvernement, le sapeur-pompier entre une de fois en scelle, se rend à la Cour des Comptes pour présenter des excuses publiques au nom de son gouvernement aux Juges. Un acte inédit dans la gestion du pouvoir en Haïti, il faut le reconnaitre. Après avoir fait amende honorable, il a obtenu de la Cour une séance de travail sur un ensemble de projets ayant reçu un avis défavorable de l'institution dont le contrat d'électricité avec Général Electrique. Là encore le chef gouvernement évite un bras de fer qui pourrait très cher au pouvoir et à Jovenel Moise en particulier.


Le feu de la CSC/CA à peine éteint du moins circonscrit, une autre flamme s'est rallumée avec l'incarcération des 5 policiers de l'UDMO chargé de sécuriser la résidence du Bâtonnier assassiné. En direct à l'émission Ranmase le sapeur-pompier de Jovenel Moise a publiquement désaprouvé la décision du Parquêt relative aux policiers et du coup tué dans l'oeuf ce samedi une rebéllion en gestation au sein de l'unique Corps de Maintien d'Ordre. Moins d'une demie heure après ses déclarations à la radio, le premier ministre également chef du CSPN fait libérer les policiers et a repris le contrôle de la situation. En réaction à l'emprisonnement jugé illégal de leurs fréres d'armes, dans plusieurs base de l'UDMO, des polliciers commençaient à déserté pour donner une réponse au gouvernement. 


En tout état de cause, si un premier ministre est obligé d'intervenir pour éteindre le feu créé par ou dans son propre gouvernement, cela traduit un manque criant de cohésion au sein de l'équipe au pouvoir dont la présence depuis de 3 ans et 5 mois n'est pas arrivée à résoudre les problèmes les plus élémentaires de la population. A côté de l'appréciation certaine et graduelle de la gourde par rapport au dollar ( 90 gourdes pour un dollar ce week end contre 125, il y a deux semaines) qu'on peut mettre à l'actif de l'administration Moise/Jouthe, tous les indices sont aux rouges. La vie des haïtiens s'est nettement dégradée en neuf ans de gestion du pouvoir de PHTK.

Toutefois, les plus grands défis attendent le pouvoir en place. En fin de mandat et décrié, Jovenel Moise veut à tout prix changer la constitution et organiser des élections. Comment va-t-il s'y prendre pour former un CEP qui n'envenime pas la crise actuelle? Joseph Michel Martelly qui était lui aussi en fin de mandat et décrié a dû créer trois CEP dont l'un avec 6 membres avant de pouvoir lancer le processus électoral et n'était pas parvenu malgré tout à organiser l'élection pour passer le pouvoir à un autre président.

Le premier ministre Joseph Jouthe qui n'est ni aimé ni haï par l'opposition, du moins pour l'instant, pourra-t-il éteindre les prochains brasiers? Le plus dur dans ce métier de sapeur-pompier, c'est qu'en intervernant pour éteindre le feu et sauver ce qui peut l’être, on risque de laisser sa peau. Joseph Jouthe survivra-t-il au volcan de 2021 qui s’annonce ?

 


Par José Emmanuel

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