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*L’étendue du pouvoir parlementaire et les limites nécessaires*

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Port-au-Prince, le 23 Septembre 2017(Gazette Haiti News)

Beaucoup plus qu’avant, le peuple haïtien a pris l’habitude depuis pas mal de temps d’intervenir sur un ensemble de sujets qui, avant, étaient l’apanage des élites. Aujourd’hui, ce qui est d’ailleurs bien intéressant, les sujets sont descendus de leurs trônes savants pour circuler dans les bidonvilles, les corridors… On parle de politique, d’économie, de philosophie et aujourd’hui de budget. L’hégémonie du populaire fait que les espaces médiatiques font rarement appel aux spécialistes, mais tiennent des émissions de libre tribune ou font appel aux nouveaux Pic de la Mirandole – avec leur magie exceptionnelle d’être capables d’intervenir sur tous les sujets, peu importe leur complexité.

À l’instar de la bombe d’Albert Einstein – au quotidien nous consommons des « paroles atomiques ». Ce qui fait que certes, il y a débat, mais un débat limité. Limité parce que plus destructif qu’instructif. Destructif à un point tel, que certains parlent d’incendier le Parlement et promettent le lynchage des députés et sénateurs. C’est tout cela qui m’a poussé à produire ce texte sur la nature du mandat parlementaire, parce que – me semble-t-il – on paraît méconnaître l’étendue des pouvoirs que nous donnons à nos parlementaires. J’ai trouvé ce débat nécessaire parce qu’à mon avis, nous devons connaître la vérité et tenté communément de trouver la solution la mieux appropriée pour rapprocher les élus du peuple et le peuple des élus, mais également faire en sorte que le pouvoir n’échappe pas non plus à la population.

Les deux théories en matière de nature du mandat parlementaire Lorsqu’on parle de la nature du mandat parlementaire, cela renvoie à deux théories. Il s’agit d’abord de « la théorie de la souveraineté populaire » qui est l’addition des différentes fractions de souveraineté dont chaque individu en particulier est titulaire. Dans cette théorie, le droit de commandement appartient au peuple, qui est considéré comme un être et qui peut exercer luimême sa souveraineté. Le mandat dans cette théorie est particulier et impératif. Il y a ensuite la « théorie de la souveraineté nationale » où le pouvoir souverain émane de la nation conçue comme une entité abstraite, indivise et distincte des individus. Les corolaires de cette théorie sont à l’opposé de la souveraineté populaire, ce qui fait par exemple que les représentants ne sont pas les commis des électeurs. Dans cette théorie, le mandat est général (parce que les parlementaires représentent la nation) et représentatif (parce que les parlementaires ne peuvent être liés à aucun ordre émanant des électeurs). Les mandats impératifs ont presque disparu Depuis la chute du mur de Berlin un grand nombre de pays où le mandat des parlementaires était impératif, y ont renoncé. Ce qui fait que de nos jours, on peut compter sur le bout des doigts le nombre de pays où le mandat des élus est lié soit par les partis politiques ou la population.

En même temps, un certain nombre de pays qui disposent de mandat de représentation libre parviennent quand même à une certaine mixité, ce que nous verrons à la fin de ce texte. Les mandats de représentation libre Aussi questionnable soit-il, le mandat de représentant libre est celui à triompher, avec bien entendu la fin du monde bipolaire, où les États-Unis d’Amérique sont devenus pour reprendre Hubert Védrine « l’hyperpuissance mondiale ». Haïti fait en effet partie de ces pays, comme de nombreux autres, où les députés élus par les circonscriptions, de même que les sénateurs élus par les départements, deviennent une fois investis dans leurs fonctions « députés du peuple » et « sénateurs de la République ». Ce qui implique qu’une fois élus, les parlementaires prennent les décisions qu’ils estiment en faveur de la population. L’élection accorde aux élus le pouvoir de décider au nom de la nation. Il y a une célèbre citation de Condorcet qui résume bien la question : « Mandataire du peuple, je ferai ce que je croirai le plus conforme à ses intérêts. Il m’a envoyé pour exposer mes idées, non les siennes ; l’indépendance absolue de mes opinions est le premier de mes devoirs envers lui ». Le mandat de représentant libre est celui dont disposent les parlementaires haïtiens. Nous leur donnons le libre champ de décider à notre place, de prendre les décisions qu’ils estiment à notre avantage en fonction du crédit que nous leur faisons. À l’instar de Condorcet, ils doivent exposer leurs idées et non les nôtres. Ce point est important à considérer parce que pour certains, et pas des moindres, le parlementaire devrait consulter ses mandants chaque fois que l’Assemblée aura à décider. Alors que dans la réalité, et suivant le principe du mandat de représentant libre, l’élu vote avec son âme et sa conscience. Toute insatisfaction populaire doit se manifester aux prochaines élections, par la désignation d’un autre représentant. Bien évidemment, un parlementaire qui met en place des mécanismes de proximité vis-à-vis de ses mandants afin de rester plus proche d’eux et garantir, dans une certaine mesure, plus efficacement sa réélection est un acte stratégique et personnel, mais cela n’a rien de légal ni d’obligatoire. La longue durée des mandats et l’insatisfaction des mandants La durée du mandat ne devrait pas être le problème. C’est plutôt l’insatisfaction, le long temps que les citoyens doivent attendre dans l’insatisfaction, parce qu’une fois investis dans leurs fonctions, les élus semblent oublier les mirobolantes promesses qu’ils ont faites durant leurs campagnes. Cela devient la règle, au point qu’aisément certains disent qu’en politique les promesses n’engagent que ceux qui y croient. En campagne, les candidats promettent monts et merveilles, et une fois élu, ils semblent en majorité avoir un grand trou de mémoire. En réaction, le peuple manifeste son mécontentent par la hargne politique. Mais, il arrive aussi des fois que ce n’est pas forcément la population qui est insatisfaite des élus, mais des groupes puissants de la société qui influencent la bataille de l’opinion. C’est l’une des raisons qui expliquent par exemple la force des lobbyistes dans le monde pour défendre les intérêts de groupes particuliers de la société. Le principe du « mandat de représentant libre » n’est pas en soi mauvais, mais plus on est dans une société où le peuple est moins éduqué et éclairé, plus cela peut conduire à des dérives.

Quelle alternative pour compenser les dérives du mandat ? Dans la réalité, ni l’un ni l’autre des mandats (impératif ou de représentant libre) accordés aux parlementaires n’est parfait. Il est peut-être important comme l’aurait supposé Thomas Khun, l’historien des sciences, de procéder à un changement de paradigme parce que les théories ne semblent plus répondre. Certains pays expérimentent une certaine mixité, un mélange de l’impératif et du libre, pour tenter de limiter les dérives du pouvoir parlementaire soutenu surtout par les lobbyistes. Dans les pays les plus riches (c.- à-d. États-Unis d’Amérique) comme les plus pauvres (i.e Haïti), les parlementaires sont questionnés et scrutés. L’un de mes intellectuels américains préférés, Ralph Nader a publié vers la fin des années 1970 une brillante étude dénommée Main basse sur le pouvoir, où il a étalé un ensemble de dérives du Congrès américain. Mais, c’est en même temps le niveau d’organisation du peuple américain qui les a poussés à initier le « recall election », sorte de procédure par laquelle les électeurs peuvent retirer un fonctionnaire élu par un vote direct avant que le mandat de ce dernier prenne fin. Comme aux États-Unis et dans d’autres pays encore, nous pensons qu’il ne serait pas mauvais qu’en Haïti des mécanismes de destitution puissent exister une fois qu’est atteint un certain seuil d’insatisfaction et de manque avéré de légitimité de ses mandats suite à des dérives. Cela contribuerait certainement à rendre les élus plus responsables et servirait beaucoup plus la cause de leurs mandants que celle de groupuscules influents. Mais la question à se poser : le Parlement serait-il prêt à voter une telle loi ?

Roudy Stanley PENN Politologue-auteur Vice-président AHCP

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